Cassation sociale, 30 janvier 2019, n° 17-24.821 cassation sociale - Editions Tissot

Jurisprudence sociale

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Cassation sociale, 30 janvier 2019, n° 17-24.821

La poursuite du contrat de travail au sein d’une autre entreprise, par application des dispositions de l’article L. 1224-1 du Code du travail emportant transfert automatique des contrats de travail, n’a pas pour effet de mettre le nouvel employeur en situation de connaître l’existence d’une protection dont bénéficie le salarié en raison d’un mandat extérieur à l’entreprise. Il appartient ainsi au salarié de prouver qu’il a informé le nouvel employeur de l’existence de ce mandat au plus tard lors de l’entretien préalable au licenciement ou, s’il s’agit d’une rupture ne nécessitant pas un entretien préalable, au plus tard avant la notification de l’acte de rupture, ou que le nouvel employeur en avait connaissance.

Cour de cassation
chambre sociale
Audience publique du mercredi 30 janvier 2019
N° de pourvoi: 17-24821
Non publié au bulletin Rejet

M. Huglo (conseiller doyen faisant fonction de président), président
Me Le Prado, SCP Gatineau et Fattaccini, SCP Piwnica et Molinié, avocat(s)


 

Texte intégral

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :



Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 5 juillet 2017), que M. Y..., conseiller prud'homme depuis décembre 2008, a été engagé à compter du 19 avril 2010 en qualité de directeur général adjoint par la société Prisme ; qu'à la suite d'une fusion-absorption, son contrat de travail a été transféré à la société Talentia Software à compter du 31 mai 2012 ; que par une lettre du 20 juin 2012, le salarié a été licencié pour motif économique, sans qu'ait été sollicitée l'autorisation préalable de l'inspecteur du travail ;

Attendu que le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de ses demandes en nullité de son licenciement et en paiement d'indemnités pour violation du statut protecteur et de dommages-intérêts pour licenciement nul alors, selon le moyen, que le transfert d'un contrat de travail d'un salarié protégé d'une entreprise cédante à une entreprise cessionnaire par application des dispositions de l'article L. 1224-1 du code du travail est sans effet sur la protection qui lui est due, en sorte que l'entreprise cessionnaire ne peut pas prétendre ignorer la qualité de salarié protégé du salarié dont le contrat de travail est transféré ; que l'entreprise cessionnaire est tenue d'obtenir une autorisation de licenciement de l'inspection du travail avant d'engager une procédure de licenciement à l'encontre d'un salarié protégé ; que le salarié protégé licencié sans autorisation administrative a droit à l'indemnité pour violation de son statut protecteur égale à la rémunération qu'il aurait perçue depuis son éviction jusqu'à l'expiration de la période de protection ainsi qu'à des dommages-intérêts pour licenciement nul ; que la cour d'appel a constaté que le contrat de travail du salarié, conseiller prud'homal, a été transféré de la société Prisme à la société Talentia Software par l'effet de l'article L. 1224-1 du code du travail le 31 mai 2012 ; que la cour d'appel a également relevé que le salarié a été licencié par la société Talentia Software sans autorisation préalable de l'inspection du travail par lettre du 20 juin 2012 ; que la cour d'appel aurait dû déduire de ses propres constatations que le licenciement du salarié était nul et que ce dernier devait bénéficier de l'indemnité afférente à la violation du statut protecteur ainsi que de dommages pour licenciement nul ; qu'en déboutant le salarié de ses demandes aux motifs que le salarié ne justifiait pas avoir informé l'entreprise cessionnaire de son mandat prud'homal et qu'il n'était pas établi que cette entreprise ait eu connaissance de sa qualité de salarié protégé au jour où elle a engagé une procédure de licenciement, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles L. 2411-1 17, L. 1442-19 et L. 1224-1 du code du travail ;

Mais attendu que la seule poursuite du contrat de travail par application de l'article L. 1224-1 du code du travail n'a pas pour effet de mettre le nouvel employeur en situation de connaître l'existence d'une protection dont bénéficie un salarié en raison d'un mandat extérieur à l'entreprise ; qu'il appartient dès lors au salarié qui se prévaut d'une telle protection d'établir qu'il a informé le nouvel employeur de l'existence de ce mandat au plus tard lors de l'entretien préalable au licenciement, ou, s'il s'agit d'une rupture ne nécessitant pas un entretien préalable, au plus tard avant la notification de l'acte de rupture, ou que le nouvel employeur en avait connaissance ;

Et attendu qu'ayant constaté que le salarié n'avait pas informé au plus tard lors de l'entretien préalable à son licenciement le nouvel employeur de son statut de conseiller prud'homme, ni établi que l'employeur en avait été avisé par d'autres voies, la cour d'appel en a exactement déduit que le salarié ne pouvait se prévaloir de la protection attachée à son mandat ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. Y... aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du trente janvier deux mille dix-neuf. MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par Me C... , avocat aux Conseils, pour M. Y...

Le moyen reproche à l'arrêt attaqué ;

D'AVOIR débouté le salarié de ses demandes tendant à juger nul son licenciement et à condamner son employeur au paiement d'indemnités pour violation du statut protecteur et de dommages et intérêts pour licenciement nul ;

AUX MOTIFS QUE « la société Talentia Software soutient que le licenciement de M. Y... n'est pas entaché de nullité au motifs qu'elle n'avait pas connaissance, ni n'a été informée par ce dernier, de son statut de salarié protégé découlant de l'exercice d'un mandat de conseiller prud'hommes ; qu'elle conclut donc à la validité du licenciement prononcé sans autorisation administrative préalable et au débouté des demandes d'indemnités de M. Y... ; Que M. Y... soutient que la société Talentia Software avait connaissance de son statut de salarié protégé avant même l'acquisition de la société Prisme et qu'il l'en a informée en toute hypothèse lors de l'entretien préalable au licenciement du 13 juin 2012 ; qu'il en conclut que son licenciement est nul et qu'il y a lieu de lui allouer les sommes de 545 691,60 euros à titre d'indemnité pour violation du statut protecteur et de 90 948,60 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement illicite ; qu'aux termes de l'article L. 2411-22 du code du travail, le licenciement d'un conseiller prud'homme ne peut intervenir qu'après l'autorisation de l'inspecteur du travail ; que la seule poursuite du contrat de travail par l'application de l'article L. 1224-1 du même code n'a pas pour effet de mettre le nouvel employeur en situation de connaître l'existence d'une protection dont bénéficie un salarié à raison d'un mandat extérieur à l'entreprise ; qu'il appartient dès lors au salarié qui se prévaut d'une telle protection d'établir qu'il a informé le nouvel employeur de l'existence de ce mandat au plus tard lors de l'entretien préalable au licenciement ou que le nouvel employeur en avait connaissance ; en l'espèce que M. Y..., pour établir la connaissance par la société Talentia Software de sa qualité de conseiller prud'homme verse aux débats : - des échanges de courriels avec M. Z... datant de 2010 et 2011 et donc antérieurs à l'absorption de la société Prisme par la société Talentia Software et dont cette dernière n'était pas destinataire, lesquels ne démontrent ainsi en rien une connaissance par cette dernière de cette qualité ; - les conclusions déposées par M. Z... devant le tribunal de commerce de Nanterre, dans lesquelles ce dernier se borne à alléguer qu'il a prévenu la société Talentia Software de son statut de salarié protégé ; que si M. Y... allègue par ailleurs avoir informé la dirigeante de la société Talentia Software de sa qualité de conseiller prud'homme lors de l'entretien préalable, il ne fournit pas le moindre élément de preuve sur ce point, alors que pour sa part, la dirigeante (Mme D...) dans une attestation versée par la société appelante conteste ce fait ; Que de plus, le rapport d'audit relatif à la situation de la société Prisme réalisé à la demande de la société Talentia Software en janvier 2012 par Me A..., avocat, à l'occasion de l'opération d'absorption, dont rien ne permet de remettre en doute la sincérité, ne contient aucun élément sur la qualité de salarié protégé de M. Y... ; Que si M. Z... allègue avoir informé la société Talentia Software de la qualité de salarié protégé de M. Y..., il ne verse aucun élément de preuve à l'appui de ses dires ; Qu'enfin, aucun autre élément du dossier ne vient démontrer que M. Y... a informé la société Talentia Software de l'existence de son mandat prud'homal au plus tard lors de l'entretien préalable au licenciement ou que ce nouvel employeur en avait connaissance au moment du licenciement ; Qu'il s'ensuit que M. Y... n'est pas fondé à invoquer la nullité de son licenciement pour violation du statut de salarié protégé et à réclamer l'allocation d'une indemnité pour violation du statut protecteur et de dommages-intérêts pour licenciement nul ; que le jugement attaqué sera donc infirmé sur ces points ».

ALORS QUE le transfert d'un contrat de travail d'un salarié protégé d'une entreprise cédante à une entreprise cessionnaire par application des dispositions de l'article L. 1224-1 du code du travail est sans effet sur la protection qui lui est due, en sorte que l'entreprise cessionnaire ne peut pas prétendre ignorer la qualité de salarié protégé du salarié dont le contrat de travail est transféré ; que l'entreprise cessionnaire est tenue d'obtenir une autorisation de licenciement de l'inspection du travail avant d'engager une procédure de licenciement à l'encontre d'un salarié protégé ; que le salarié protégé licencié sans autorisation administrative a droit à l'indemnité pour violation de son statut protecteur égale à la rémunération qu'il aurait perçue depuis son éviction jusqu'à l'expiration de la période de protection ainsi qu'à des dommages et intérêts pour licenciement nul ; que la cour d'appel a constaté que le contrat de travail du salarié, conseiller prud'homal, a été transféré de la société Prisme à la société Talentia Software par l'effet de l'article L. 1224-1 du code du travail le 31 mai 2012 ; que la cour d'appel a également relevé que le salarié a été licencié par la société Talentia Software sans autorisation préalable de l'inspection du travail par lettre du 20 juin 2012 ; que la cour d'appel aurait dû déduire de ses propres constatations que le licenciement du salarié était nul et que ce dernier devait bénéficier de l'indemnité afférente à la violation du statut protecteur ainsi que de dommages pour licenciement nul ; qu'en déboutant le salarié de ses demandes aux motifs que le salarié ne justifiait pas avoir informé l'entreprise cessionnaire de son mandat prud'homal et qu'il n'était pas établi que cette entreprise ait eu connaissance de sa qualité de salarié protégé au jour où elle a engagé une procédure de licenciement, la cour d'appel qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles L. 2411-1 17, L. 1442-19 et L. 1224-1 du code du travail.

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