Cassation sociale, 19 mars 2014, n° 12-28.411 cassation sociale - Editions Tissot

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Cassation sociale, 19 mars 2014, n° 12-28.411

L’inspection du travail peut user de tous les modes de preuve utilisables dans le cadre de ses missions pour établir le recours illicite au travail du dimanche, et notamment le témoignage d’un contrôleur de la direction départementale du travail.

Cour de cassation
chambre sociale
Audience publique du mercredi 19 mars 2014
N° de pourvoi: 12-28411
Publié au bulletin Cassation partielle

M. Lacabarats, président
Mme Mariette, conseiller rapporteur
M. Aldigé, avocat général
Me Foussard, SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat(s)


 

Texte intégral

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :



Met hors de cause MM. X... et Y... en leur qualité d'administrateurs judiciaires de la société Centrale internationale de distribution ;

Sur le moyen unique :

Vu les articles L. 3132-1, L. 3132-3, L. 3132-31, L. 8112-1, L. 8113-1, L. 8113-2 et L. 8113-4 et L. 8113-5 du code du travail, ensemble le principe de la liberté de la preuve ;

Attendu que le principe selon lequel nul ne peut se constituer un titre à lui-même n'est pas applicable à la preuve des faits juridiques ; qu'il appartient à l'inspecteur du travail, qui saisit en référé le président du tribunal de grande instance, afin qu'il prenne toutes mesures propres à faire cesser le travail illicite du dimanche de salariés d'établissements de vente au détail et de prestations de services au consommateur, d'établir par tous moyens, et en usant des pouvoirs qu'il tient des articles L. 8113-1, L. 8113-2 et L. 8113-4 du code du travail, l'emploi illicite qu'il entend faire cesser et dont il atteste dans le cadre de l'assignation ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, statuant en référé après renvoi de cassation (Soc 10 mars 2010, n° 08-17.044) que l'inspecteur du travail a constaté le dimanche 2 avril 2006 à 14 heures 45 qu'un établissement de la société Centrale internationale de distribution, qui commercialise des produits non alimentaires sous l'enseigne Vima, était ouvert et que trois salariés y travaillaient ; qu'estimant que le fait de faire travailler le dimanche ces trois salariés était contraire aux dispositions des articles L. 3132-3 et L. 3132-13 du code du travail, il a saisi en référé le président d'un tribunal de grande instance afin de voir ordonner les mesures propres à faire cesser l'emploi de ces salariés le dimanche ;

Attendu que pour rejeter la demande, l'arrêt énonce que l'inspecteur du travail ainsi que son ministre de tutelle entendent se fonder sur le témoignage d'un contrôleur, se déclarant présent sur les lieux de l'établissement, le dimanche 2 avril 2006 à 14 h 45, en application du principe de la liberté de la preuve ; que cependant, l'absence d'obligation pour l'autorité de contrôle de se conformer à la procédure de l'article L. 8113-7 du code du travail ne lui permet pas pour autant de s'affranchir des règles de preuve générales, telle que l'impossibilité de se constituer une preuve à soi-même ; que le témoignage du contrôleur sera dès lors écarté ; qu'il en est de même pour l'inspecteur du travail en personne ; qu'ainsi, il convient de constater que celui-ci ne justifie aucunement de la présence de trois salariés en situation de travail dans l'établissement susvisé à l'heure déclarée, la rédaction d'un document portant relation des faits par l'inspecteur du travail lui-même, tombant sous le coup de la règle de l'impossibilité de se constituer une preuve à soi-même ; que par conséquent, aucun élément probant non sérieusement contestable et contemporain des faits dénoncés comme constitutifs d'un trouble manifestement illicite n'est rapporté en l'espèce ;

Qu'en statuant ainsi, alors que l'inspecteur du travail exerçant l'action qui lui est ouverte par l'article L. 3132-31 du code du travail, peut produire tous les éléments de preuve légalement admissibles, dont il appartient au juge d'apprécier la valeur, la cour d'appel a violé le principe et les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il a mis hors de cause MM. X... et Y... en leur qualité d'administrateurs judiciaires de la société Centrale internationale de distribution, l'arrêt rendu le 6 septembre 2012, entre les parties, par la cour d'appel de Metz ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Colmar ;

Condamne la société Centrale internationale de distribution aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Centrale internationale de distribution à payer la somme de 3 000 euros aux demandeurs au pourvoi et rejette les autres demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf mars deux mille quatorze.

 

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par Me Foussard, avocat aux Conseils, pour l'inspecteur du travail de la 2e section de la direction départementale du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle des Vosges et le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.

L'arrêt attaqué encourt la censure ;

EN CE QU' il a rejeté la demande formée en référé par l'inspecteur du travail tendant à faire prescrire les mesures propres à faire cesser l'infraction aux règles relatives au repos dominical commise par la société CENTRALE INTERNATIONALE DE DISTRIBUTION ;

AUX MOTIFS QUE « Monsieur l'Inspecteur du Travail ainsi que son Ministre de tutelle entendent se fonder sur le témoignage d'un contrôleur, se déclarant présent sur les lieux de l'établissement VIMA à SAINTE-MARGUERITE, le dimanche 2 avril 2006 à 14 h 45 en se fondant sur le principe de la liberté de la preuve ; que cependant, l'absence d'obligation pour l'autorité de contrôle de se conformer à la procédure de l'article L. 8113-7 susvisé ne lui permet pas pour autant de s'affranchir des règles de preuve générales, telle que l'impossibilité de se constituer une preuve à soi-même ; que le témoignage du contrôleur sera dès lors écarté ; qu'il en est de même pour l'autorité demanderesse à savoir l'Inspecteur du Travail en personne ; qu'ainsi, il convient de constater que la partie appelante, ne justifie aucunement de la présence de trois salariés en situation de travail dans l'établissement susvisé à l'heure déclarée, la rédaction d'un document portant relation des faits par l'Inspecteur du Travail lui-même, tombant sous le coup de la règle de l'impossibilité de se constituer une preuve à soi-même ; que par conséquent, aucun élément probant non sérieusement contestable et contemporain des faits dénoncés comme constitutifs d'un trouble manifestement illicite n'est rapporté en l'espèce, ce qui justifie la confirmation de l'ordonnance déférée et le débouté des demandes formées par les parties appelantes, pour ces motifs uniques lesquels se substituent aux premiers » (arrêt, p. 7) ;

ALORS QUE, premièrement, le principe selon lequel nul ne peut se constituer un titre à soi-même n'est pas applicable à la preuve des faits juridiques ; qu'en décidant en l'espèce que les attestations de l'inspecteur du travail et du contrôleur de la direction départementale du travail n'étaient pas recevables, quand celles-ci avaient pour objet d'établir l'existence d'une infraction aux dispositions régissant le travail dominical, la cour d'appel a violé les articles L. 3132-1, L. 3132-3, L. 3132-31 et L. 8112-1 du code du travail, ensemble l'article 1348 du code civil et le principe de liberté de la preuve ;

ALORS QUE, deuxièmement, le principe selon lequel nul ne peut se constituer un titre à soi-même suppose que la pièce probante litigieuse ait été constituée par une partie à l'instance ; qu'en décidant en l'espèce que les attestations de l'inspecteur du travail et du contrôleur de la direction départementale du travail n'étaient pas recevables, quand cette dernière attestation émanait de la personne du contrôleur, non partie à l'instance, la cour d'appel a encore violé les articles L. 3132-1, L. 3132-3, L. 3132-31 et L. 8112-1 du code du travail, ensemble l'article 1348 du code civil et le principe de liberté de la preuve ;

ALORS QUE, troisièmement, le principe selon lequel nul ne peut se constituer un titre à soi-même interdit seulement au juge d'accueillir la preuve d'un acte juridique au seul vu d'un document dressé par l'une des parties, sans l'empêcher de prendre en compte ce document lorsqu'il vient corroborer d'autres éléments de preuve ; qu'en décidant en l'espèce que les attestations de l'inspecteur du travail et du contrôleur de la direction départementale du travail n'étaient pas recevables, quand la première de ces deux attestations, seule émanant d'une partie à l'instance, venait corroborer celle émise par un tiers à l'instance, la cour d'appel a à nouveau violé les articles L. 3132-1, L. 3132-3, L. 3132-31 et L. 8112-1 du code du travail, ensemble l'article 1348 du code civil et le principe de liberté de la preuve ;

ET ALORS QUE, quatrièmement, les attestations émises par les agents de l'autorité publique dans l'exercice de leurs prérogatives de puissance publique constituent des éléments de preuve recevables devant les tribunaux ; que si, à la différence d'un procès-verbal, le contenu de ces attestations ne s'imposent pas aux juges, ceux-ci n'en restent pas moins tenus d'apprécier leur valeur probante sans pouvoir les écarter en leur principe ; qu'en décidant en l'espèce que les attestations de l'inspecteur du travail et du contrôleur de la direction départementale du travail n'étaient pas recevables, quand celles-ci avaient pourtant été émises par ces agents dans l'exercice de leur mission de contrôle, la cour d'appel a également violé les articles L. 3132-1, L. 3132-3, L. 3132-31 et L. 8112-1 du code du travail, ensemble les articles 199 et 201 du code de procédure civile et le principe de liberté de la preuve.