Cassation sociale, 12 mai 2021, n° 19-21.124 cassation sociale - Editions Tissot

Jurisprudence sociale

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Cassation sociale, 12 mai 2021, n° 19-21.124

L'absence de plusieurs membres du CSE, dont celle du trésorier adjoint en arrêt maladie, caractérise l'existence des circonstances exceptionnelles justifiant le dépassement par le salarié de son crédit d'heures de délégation.

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

MF



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 12 mai 2021




Rejet


M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 540 F-D

Pourvoi n° D 19-21.124




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 12 MAI 2021

La société Eurovia Drôme Ardèche Loire Auvergne, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° D 19-21.124 contre l'ordonnance rendue en la forme des référés le 13 juin 2019 par le conseil de prud'hommes d'Aubenas, dans le litige l'opposant :

1°/ à M. [C] [S], domicilié [Adresse 2],

2°/ au syndicat CGT Eurovia DalaCGT Eurovia Dala, dont le siège est [Adresse 3],

défendeurs à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Sommé, conseiller, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société Eurovia Drôme Ardèche Loire Auvergne, de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. [S] et du syndicat CGT Eurovia DalaCGT Eurovia Dala, après débats en l'audience publique du 17 mars 2021 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Sommé, conseiller rapporteur, Mme Chamley-Coulet, conseiller référendaire ayant voix délibérative, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article L. 431-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'ordonnance attaquée (conseil de prud'hommes d'Aubenas, 13 juin 2019), statuant en référé, M. [S] a été engagé par la société Eurovia Drôme Ardèche Loire Auvergne (société Eurovia DalaEurovia Dala) à compter du 1er avril 2005 en qualité d'opérateur géomètre. Il exerce un mandat d'élu titulaire au comité d'établissement Eurovia Dala Drôme ArdècheEurovia Dala Drôme Ardèche dont il est trésorier.

2. Soutenant avoir été contraint de dépasser son crédit d'heures de délégation, le salarié a saisi la juridiction prud'homale, le 29 mai 2019, à l'effet d'obtenir un rappel de salaire correspondant à 8 heures de délégation effectuées sur les mois de janvier et février 2019, ainsi qu'un rappel d'indemnité de repas afférente à ces heures de délégation. Le syndicat CGT Eurovia DalaCGT Eurovia Dala (le syndicat) est intervenu volontairement à l'instance.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

3. L'employeur fait grief à l'ordonnance de lui ordonner de payer au salarié certaines sommes à titre de rappel de salaires et d'indemnité de repas, alors :

« 1°/ que la formation des référés ne peut, même en cas d'urgence, ordonner une provision au créancier que si l'obligation n'est pas sérieusement contestable ; qu'en l'espèce, le salarié sollicitait le paiement d'un rappel de salaire au titre d'un dépassement de son crédit d'heures de délégation lié à l'absence de deux membres du comité d'établissement ; que la société Eurovia DalaEurovia Dala lui opposait qu'il existait une contestation sérieuse relative au caractère exceptionnel des circonstances invoquées ; qu'en affirmant que la demande du salarié remplissait les conditions d'urgence et d'absence de contestation sérieuse prévues par le code du travail dès lors qu'il s'agissait d'une ''créance salariale'', le conseil de prud'hommes a violé les articles R. 1455-5 et R. 1455-7 du code du travail ;

2°/ que lorsque le salarié sollicite le paiement d'heures de délégation effectuées en dépassement de son crédit d'heures, l'obligation au paiement de l'employeur est sérieusement contestable lorsque les circonstances invoquées n'apparaissent pas exceptionnelles avec l'évidence requise en référé ; que l'absence de deux membres du comité d'établissement ne caractérise pas en soi un événement exceptionnel justifiant un accroissement impérieux des tâches habituelles des autres membres de ce comité ; qu'en se bornant à relever que M. [S], trésorier du comité d'établissement, avait été confronté à l'absence du trésorier adjoint en arrêt maladie et d'un autre élu, pour condamner son employeur à lui régler huit heures supplémentaires de délégation effectuées sur les mois de janvier et février 2019, lorsqu'il existait une contestation sérieuse relative à l'existence de circonstances exceptionnelles, d'autant que l'employeur exposait et justifiait que le comité d'établissement était composé de sept titulaires et de deux suppléants, de sorte qu'il n'était aucunement en sous-effectif pour l'exercice de ses activités, le conseil de prud'hommes a violé les articles R. 1455-5 et R. 1455-7 du code du travail, ensemble l'ancien article L. 2325-6 du code du travail. »

Réponse de la Cour

4. Le conseil de prud'hommes, appréciant souverainement les éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis, qui a caractérisé l'existence des circonstances exceptionnelles justifiant le dépassement, durant les mois de janvier et février 2019, par le salarié de son crédit d'heures de délégation, en raison de l'absence de plusieurs membres du comité d'établissement, dont celle du trésorier adjoint en arrêt maladie, a pu en déduire que l'obligation de l'employeur au paiement d'une provision n'était pas sérieusement contestable.

5. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

6. L'employeur fait grief à l'ordonnance de lui ordonner de payer au syndicat une somme au titre du préjudice subi, alors :

« 1°/ que la cassation à intervenir du chef de dispositif de l'ordonnance condamnant la société Eurovia DalaEurovia Dala à verser à M. [S] un rappel de salaire entraînera par voie de conséquence la cassation de ce chef de dispositif en application de l'article 624 du code de procédure civile ;

2°/ que l'obligation pesant sur l'employeur de payer à l'échéance normale comme temps de travail le temps nécessaire à l'exercice du mandat, sauf à contester ensuite devant la juridiction compétente l'usage fait du temps alloué, est limitée aux heures dont le nombre est fixé par la loi ou par un accord collectif plus favorable, et ne s'étend pas à celles qui sont prises en fonction de circonstances exceptionnelles dont il appartient au salarié, en cas de contestation de l'employeur, d'établir l'existence ainsi que la conformité de leur utilisation avec l'objet du mandat représentatif préalablement à tout paiement par l'employeur ; qu'en affirmant que le refus de l'employeur de donner et de payer à M. [S] le temps nécessaire à l'exercice de ses fonctions caractérisait une entorse à ses droits syndicaux élémentaires, pour accorder au syndicat des dommages-intérêts, le conseil des prud'hommes a violé l'article L. 2132-3 du code du travail, ensemble l'article L. 2325-6 du code du travail. »

Réponse de la Cour

7. Le conseil de prud'hommes a exactement retenu que le refus de l'employeur de payer au salarié les heures de délégation supplémentaires, qui ne se heurtait à aucune contestation sérieuse, causait un préjudice collectif à la profession représentée par le syndicat.

8. Le moyen, rendu sans portée en sa première branche par suite du rejet du premier moyen, n'est donc pas fondé pour le surplus.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Eurovia Drôme Ardèche Loire Auvergne aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Eurovia Drôme Ardèche Loire Auvergne et la condamne à payer à M. [S] et au syndicat CGT Eurovia DalaCGT Eurovia Dala la somme globale de 3 000 euros ; Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du douze mai deux mille vingt et un. MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat aux Conseils, pour la société Eurovia Drôme Ardèche Loire Auvergne.

PREMIER MOYEN DE CASSATION

IL EST FAIT GRIEF à l'ordonnance attaquée d'AVOIR ordonné à la SAS EUROVIA DALAEUROVIA DALA de payer à M. [S] les sommes de 104,64 euros au titre de rappel de salaires, 47,16 euros d'indemnité de repas et 500,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

AUX MOTIFS QUE « Sur la compétence de la formation de référé
Attendu qu'il ressort des éléments et des explications fournis à la formation de référé que la demande, s'agissant d'une créance salariale, remplit les conditions d'urgence et d'absence de contestation sérieuse prévue par le code du travail, en son article R.1455-5.
Sur les circonstances exceptionnelles
L'article L 2325-6 alinéa l : " L'employeur laisse le temps nécessaire à l'exercice de leurs fonctions, dans la limite d'une durée qui, sauf circonstances exceptionnelles, ne peut excéder 20 heures par mois: aux membres titulaires du comité d'entreprise ".
En l'espèce, M. [S] a dû faire face à l'absence de délégués au CE, notamment celle du trésorier adjoint en arrêt maladie.
En conséquence, la formation de référé estime que M. [S] a été fondé à demander des heures supplémentaires de délégation.
Il sera fait droit à ses demandes de rappel de salaires à hauteur de 08 heures et au paiement des primes de repas afférents »

1/ ALORS QUE la formation des référés ne peut, même en cas d'urgence, ordonner une provision au créancier que si l'obligation n'est pas sérieusement contestable ; qu'en l'espèce, le salarié sollicitait le paiement d'un rappel de salaire au titre d'un dépassement de son crédit d'heures de délégation lié à l'absence de deux membres du comité d'établissement ; que la société Eurovia DalaEurovia Dala lui opposait qu'il existait une contestation sérieuse relative au caractère exceptionnel des circonstances invoquées ; qu'en affirmant que la demande du salarié remplissait les conditions d'urgence et d'absence de contestation sérieuse prévues par le code du travail dès lors qu'il s'agissait d'une « créance salariale », le conseil de prud'hommes a violé les articles R 1455-5 et R 1455-7 du Code du travail ;

2/ ALORS QUE lorsque le salarié sollicite le paiement d'heures de délégation effectuées en dépassement de son crédit d'heures, l'obligation au paiement de l'employeur est sérieusement contestable lorsque les circonstances invoquées n'apparaissent pas exceptionnelles avec l'évidence requise en référé ; que l'absence de deux membres du comité d'établissement ne caractérise pas en soi un événement exceptionnel justifiant un accroissement impérieux des tâches habituelles des autres membres de ce comité ; qu'en se bornant à relever que M. [S], trésorier du comité d'établissement, avait été confronté à l'absence du trésorier adjoint en arrêt maladie et d'un autre élu, pour condamner son employeur à lui régler huit heures supplémentaires de délégation effectuées sur les mois de janvier et février 2019, lorsqu'il existait une contestation sérieuse relative à l'existence de circonstances exceptionnelles, d'autant que l'employeur exposait et justifiait que le comité d'établissement était composé de sept titulaires et de deux suppléants, de sorte qu'il n'était aucunement en sous-effectif pour l'exercice de ses activités (v. conclusions p. 15 § 7 et pièces d'appel n°8 et 9), le conseil de prud'hommes a violé les articles R 1455-5 et R 1455-7 du Code du travail, ensemble l'ancien article L 2325-6 du code du travail.

SECOND MOYEN DE CASSATION

IL EST FAIT GRIEF à l'ordonnance attaquée d'AVOIR ordonné à la société EUROVIA DALAEUROVIA DALA de payer au Syndicat CGT EUROVIA DALACGT EUROVIA DALA les sommes de 1 000,000 euros au titre du préjudice subi et 600,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

AUX MOTIFS QUE « Sur la compétence de la formation de référé
Attendu qu'il ressort des éléments et des explications fournis à la formation de référé que la demande, s'agissant d'une créance salariale, remplit les conditions d'urgence et d'absence de contestation sérieuse prévue par le code du travail, en son article R.1455-5.
Sur les circonstances exceptionnelles
L'article L 2325-6 alinéa l : " L'employeur laisse le temps nécessaire à l'exercice de leurs fonctions, dans la limite d'une durée qui, sauf circonstances exceptionnelles, ne peut excéder 20 heures par mois: aux membres titulaires du comité d'entreprise ".
En l'espèce, M. [S] a dû faire face à l'absence de délégués au CE, notamment celle du trésorier adjoint en arrêt maladie.
En conséquence, la formation de référé estime que M. [S] a été fondé à demander des heures supplémentaires de délégation.
Il sera fait droit à ses demandes de rappel de salaires à hauteur de 08 heures et au paiement des primes de repas afférents ;
Sur les demandes de la partie intervenante volontaire
Le refus de l'employeur de donner et de payer à M. [S] le temps nécessaire à l'exercice de ses fonctions est une entorse à ses droits syndicaux élémentaires.
En cela il porte un préjudice manifeste aux intérêts de l'ensemble des salariés.
En conséquence, il sera fait droit à sa demande pour préjudice subi à hauteur de 1 000,00 euros.

Sur l'article 700 du code de procédure civile
La Société EUROVIA DALAEUROVIA DALA étant tenue aux dépens devra payer:
- 500,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile à M. [S]
- 600,00 euros au Syndicat CGT EUROVIA DALACGT EUROVIA DALA »

1/ ALORS QUE la cassation à intervenir du chef de dispositif de l'ordonnance condamnant la société Eurovia DALAEurovia DALA à verser à M. [S] un rappel de salaire entrainera par voie de conséquence la cassation de ce chef de dispositif en application de l'article 624 du code de procédure civile ;

2/ ALORS QUE l'obligation pesant sur l'employeur de payer à l'échéance normale comme temps de travail le temps nécessaire à l'exercice du mandat, sauf à contester ensuite devant la juridiction compétente l'usage fait du temps alloué, est limitée aux heures dont le nombre est fixé par la loi ou par un accord collectif plus favorable, et ne s'étend pas à celles qui sont prises en fonction de circonstances exceptionnelles dont il appartient au salarié, en cas de contestation de l'employeur, d'établir l'existence ainsi que la conformité de leur utilisation avec l'objet du mandat représentatif préalablement à tout paiement par l'employeur ; qu'en affirmant que le refus de l'employeur de donner et de payer à M. [S] le temps nécessaire à l'exercice de ses fonctions caractérisait une entorse à ses droits syndicaux élémentaires, pour accorder au syndicat des dommages et intérêts, le conseil des prud'hommes a violé l'article L 2132-3 du code du travail, ensemble l'article L 2325-6 du code du travail.ECLI:FR:CCASS:2021:SO00540