Cassation criminelle, 9 novembre 1998, n° 98-87.661 cassation sociale - Editions Tissot

Jurisprudence sociale

Version gratuite

Cassation criminelle, 9 novembre 1998, n° 98-87.661

Un chef de chantier qui n’a reçu aucune formation à la sécurité ne peut pas être délégataire de pouvoirs.

Cour de cassation
chambre criminelle
Audience publique du mardi 9 novembre 1999
N° de pourvoi: 98-87661
Non publié au bulletin Rejet

Président : M. GOMEZ, président


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le neuf novembre mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire AGOSTINI, les observations de Me COSSA, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général LAUNAY ;

Statuant sur le pourvoi formé par :

- A... Gabriel,

contre l'arrêt de la cour d'appel de GRENOBLE, chambre correctionnelle, en date du 29 octobre 1998, qui, pour blessures involontaires par manquement délibéré à une obligation de sécurité ou de prudence, l'a condamné à 2 mois d'emprisonnement avec sursis, 3 000 francs d'amende, a ordonné une mesure de publication et a prononcé sur les intérêts civils ;

Vu le mémoire produit ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation du principe de la présomption d'innocence consacré par l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, des articles 66 et 67 du décret n° 65-48 du 8 janvier 1965, des articles 121-3, 222-19, alinéa 1, 222-44 et 222- 46 du nouveau Code pénal, des articles L. 262-2 et L. 262-3 de Code du travail, ainsi que des articles 485, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Gabriel A... coupable de coups et blessures involontaires ayant entraîné une incapacité totale de travail de plus de trois mois par manquement aux obligations de sécurité et prudence imposées aux articles 66 du décret du 8 janvier 1965, et, en répression, l'a condamné à deux mois d'emprisonnement avec sursis et à une amende de 3 000 francs, outre la publication par extraits de la décision dans les journaux Dauphiné Libéré et Le Progrès de Lyon ;

"aux motifs que, le 8 décembre 1994, Michel Y..., salarié, a été victime d'un accident alors qu'il travaillait pour le compte de son employeur, l'entreprise la SA Ribière Industrie, sur le chantier Isardrome à Saint-Rambert-d'Albon ; qu'ayant été amené à descendre dans une tranchée d'une profondeur d'un peu plus de deux mètres, il s'était trouvé enfoui à la suite de l'éboulement de celle-ci ; que, transporté à l'hôpital par des salariés de l'entreprise présents sur les lieux, il subissait des blessures entraînant une incapacité totale de travail supérieure à 3 mois (112 jours) ; que ni les pompiers, ni la gendarmerie, ni l'inspection du travail n'avaient été appelés sur les lieux, sur décision en premier lieu du responsable présent sur les lieux (pompier, gendarme) puis de la direction de l'entreprise (inspection du travail) ; qu'aucune constatation matérielle n'a donc pu être faite en temps utile ;

"et qu'aux termes de l'article 66 du décret (n 65-48) du 8 janvier 1965, les fouilles en tranchée de plus de 1,30 mètre de profondeur et d'une largeur égale ou inférieure aux deux tiers de la profondeur doivent, lorsque leurs parois sont verticales ou sensiblement verticales, être blindées, être sillonnées (lire :
étrésillonnées) ou étayées, les parois des fouilles en tranchées autres que celles visées précédemment doivent être aménagées de façon à prévenir les éboulements ; qu'en l'espèce, faute de constatations matérielles, il convient de se référer aux descriptions de la fouille données par les ouvriers présents sur les lieux, Michel Y... et Gabriel A... ; que tous s'accordent pour dire que la tranchée avait une profondeur d'environ 3,15 mètres (audition de M. X...) ; que, quant à la largeur, si Gabriel A... déclare que sa partie inférieure était d'un mètre, force est de constater qu'en l'absence de vérifications sur le terrain concomitamment à l'accident, aucune indication précise n'est donnée, de sorte qu'il est impossible de vérifier si la largeur était supérieure aux deux tiers de la hauteur ; que, si, suivant les déclarations des deux salariés de l'entreprise présents au moment de l'accident (M. Z... et M. B...) et de Gabriel A..., cette tranchée était évasée à mi-hauteur environ, il n'en demeure pas moins que la partie basse avait des parois verticales ; que, dès lors, il appartenait au responsable du chantier de veiller à la protection de la partie basse, d'autant plus que ce chantier, de par sa proximité avec l'autoroute A7, empruntée par de nombreux véhicules et notamment par de nombreux poids lourds, était soumis à des vibrations sensibles ; que l'alinéa 2 de l'article 66 du décret précité fait obligation à l'employeur ou à son délégataire, de tenir compte pour assurer la protection des fouilles en tranchées ou en excavation des ébranlements prévisibles dus à la circulation sur les voies carrossables, les pistes de circulation ou les voies ferrées se trouvant à proximité des fouilles ; qu'il résulte tant de l'information que des débats devant la Cour que Gabriel A... n'avait prévu aucune protection pour cette tranchée, alors que cette tranchée avait pour moitié des parois verticales et se trouvait à proximité d'une voie à grande circulation ; qu'en ne faisant pas aménager cette tranchée de façon à prévenir les éboulements et, ce en dépit des exigences étendues de l'article 66 du décret du 8 janvier 1965, Gabriel A... a commis un manquement à l'obligation
de sécurité ou de prudence imposée par le texte précité ;

"alors, d'une part, que, selon les dispositions de l'article 66, alinéa 2, du décret n° 65-48 du 8 janvier 1965, les parois des fouilles en tranchée autres que celles visées à l'article 66, alinéa 1, (qui concerne les tranchées de plus de 1,30 mètre de profondeur et d'une largeur égale ou inférieure aux deux tiers de la hauteur) doivent être aménagées eu égard à la nature et à l'état des terres de façon à prévenir les éboulements et que, selon l'article 67 du même texte (et non l'article 66, alinéa 2), il doit être notamment tenu compte pour la détermination de l'inclinaison à donner aux parois ou pour l'établissement des blindages, des étrésillons et des étais, des ébranlements prévisibles dus à la circulation sur les voies avoisinantes ; qu'en l'espèce, l'arrêt a constaté que les parois de la tranchée, d'une profondeur d'environ 3,15 mètres, étaient verticales à la base, mais évasées à partir de la mi-hauteur ; que, dès lors, en déclarant Gabriel A... fautif de n'avoir pas aménagé la tranchée de manière à prévenir les éboulements, sans autrement expliquer en quoi, eu égard notamment à la nature et à l'état des terres, le talutage effectué en partie haute de la tranchée ne répondait pas aux exigences d'aménagement imposées aux articles 66, alinéa 2, et 67 du décret précité, la cour d'appel qui a en réalité déduit l'insuffisance de protection du seul effondrement de la paroi, pourtant survenu dans des circonstances demeurées controversées, n'a pas légalement caractérisé la faute d'imprudence et a ainsi privé sa décision de toute base légale au regard de l'ensemble des textes susvisés ;

"alors, d'autre part, qu'en déduisant de la seule survenance de l'éboulement l'insuffisance des aménagements destinés à le prévenir, quels qu'ils fussent, la cour d'appel a institué une responsabilité pénale de plein droit, en violation des textes susvisés et tout spécialement de ceux qui consacrent le principe de la présomption d'innocence ;

"alors, en outre, que, tout en concédant l'absence de constatations matérielles contemporaines de l'accident, la cour d'appel a néanmoins retenu la culpabilité de Gabriel A... du chef de blessures par imprudence pour non-respect des obligations d'aménagement des tranchées imposées par le décret n° 65-48 du 8 janvier 1965, à raison du dommage subi par Michel Y... à l'occasion de l'éboulement d'une tranchée, sans exposer les éléments de nature à établir avec certitude que le défaut de protection de la base de la tranchée qu'elle a supposé se trouvait à l'origine de l'effondrement de celle-ci ; que, ce faisant, elle a statué à la faveur de motifs contradictoires ou du moins insuffisants, qui sont impuissants à fonder légalement sa décision au regard des textes susvisés ;

"alors, enfin, que, dans ses conclusions d'appel, Gabriel A... faisait valoir que, faute de certitude quant aux circonstances matérielles de l'accident, il n'était pas exclu que l'éboulement de la tranchée pût être imputable, non pas à une insuffisance de la protection par le talutage aménagé dans la seule partie haute de la tranchée, mais à une chute de Michel Y... ayant entraîné avec lui la paroi, comme l'avaient pertinemment relevé les premiers juges ; qu'en faisant totalement abstraction de cette objection pourtant de nature à exclure tout lien de causalité entre la faute - supposée - et le dommage, la cour d'appel a statué à la faveur d'un défaut de motifs, en violation tant de l'article 485 du Code de procédure pénale que du principe de la présomption d'innocence" ;

Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de Cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie et caractérisé en tous ses éléments, tant matériels qu'intentionnel, le délit dont elle a déclaré le prévenu coupable ;

D'où il suit que le moyen, qui se borne à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne saurait être admis ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article L.131-6, alinéa 4, du Code de l'organisation judiciaire : M. Gomez président, Mme Agostini conseiller rapporteur, M. Roman conseiller de la chambre ;

Avocat général : M. Launay ;

Greffier de chambre : Mme Daudé ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.