Jurisprudence sociale
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Cassation criminelle, 28 janvier 1997, n° 95-85.895
La responsabilité pénale d’un chef d’équipe qui n’était pas informé de la subdélégation invoquée et qui n’avait pas été investi du pouvoir de commandement nécessaire ne peut pas être retenue.
Cour de cassation chambre criminelle Audience publique du mardi 28 janvier 1997 N° de pourvoi: 95-85895 Non publié au bulletin Rejet
Président : M. MILLEVILLE conseiller, président
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt-huit janvier mil neuf cent quatre-vingt-dix-sept, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de Mme le conseiller Françoise SIMON, les observations de la société civile professionnelle DELAPORTE et BRIARD, de la société civile professionnelle BORE et XAVIER et de Me BLONDEL, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général COTTE;
Statuant sur les pourvois formés par : - BUQUET Germain,
- La société SITUB, civilement responsable, contre l'arrêt de la cour d'appel de CAEN, chambre correctionnelle, en date du 30 octobre 1995, qui a condamné le premier pour homicide involontaire et infraction aux règles de la sécurité des travailleurs, à 4 mois d'emprisonnement avec sursis et 10 000 francs d'amende, a ordonné la publication et l'affichage de la décision et prononcé sur les intérêts civils, et qui a déclaré la seconde civilement responsable;
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles L. 263-2-1, L. 263-6, alinéa 1, L. 231-2, R. 237-3 du Code du travail, 221-6, alinéa 1, 221-10, 131-27, 221-8 et 131-15 du Code pénal, 106 à 148 du décret n°65-48 du 8 janvier 1965, arrêté du 18 mars 1993, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré le prévenu coupable d'homicide involontaire sur la personne de Didier X...;
"aux motifs que la délégation donnée par M. A... à Germain Buquet ne prévoyait pas la faculté de subdélégation et qu'il devait être retenu que l'employeur avait spécialement choisi le métreur responsable de chantier pour assumer ses obligations en matière de sécurité, à l'exclusion de tout autre salarié inférieur sur le plan hiérarchique, fût-il agent de maîtrise; que, chef de chantier ETAM, Germain Buquet disposait de façon autonome de moyens en matière de sécurité, du pouvoir disciplinaire et de la compétence nécessaires pour veiller à faire respecter les consignes de sécurité sur le chantier ; que le fait qu'il était absent du chantier le jour de l'accident n'était pas de nature à l'éxonérer de sa responsabilité, alors qu'il y effectuait une visite hebdomadaire, qu'il ne pouvait méconnaître l'insuffisance de réservations sur les caillebotis en raison du diamètre des tuyauteries qui avaient été posées, et la nécessité de les démonter pour les reprendre; que, peu important l'entreprise responsable des caillebotis, il lui appartenait de veiller pour ses salariés et ceux de ses sous-traitants, à ce que l'ouverture résultant du démontage partiel du caillebotis ne reste pas béante et insuffisamment obturée pendant plusieurs jours, alors que la passerelle pouvait être empruntée pour les besoins du chantier tuyauteries;
"alors d'une part que, la délégation de pouvoir consentie par un chef d'entreprise n'est valable que dans le cadre de l'entreprise dans laquelle le chef d'entreprise exerce ses fonctions et pour le personnel de l'entreprise; que la responsabilité pénale de Germain Buquet ne pouvait être recherchée que s'il était établi qu'il avait reçu une délégation de pouvoir générale du chef d'entreprise transférant sa responsabilité en matière d'hygiène et de sécurité non seulement au sein de la société Situb et pour son personnel, mais également pour les chantiers confiés à des entreprises sous-traitantes et leur personnel ;
qu'en l'espèce, la délégation de pouvoir octroyée à Germain Buquet le 10 septembre 1991 ne fait aucune référence aux entreprises sous-traitantes et à leur personnel; qu'il est constant que la victime, Didier X..., était employé de l'entreprise Y... à laquelle avaient été sous-traités les travaux de montage tuyauterie sur le chantier Générale Sucrière à Cagny; que, dès lors, la responsabilité pénale de Germain Buquet ne pouvait être recherchée sur le fondement d'une délégation de pouvoir qui ne s'appliquait pas à l'entreprise sous-traitante et à son propre chantier; qu'il s'ensuit que la déclaration de culpabilité est illégale;
"alors d'autre part, qu'il résulte de l'accord de sous-traitance passé entre la société Situb et l'entreprise Y... en date du 14 janvier 1992 que cette dernière devait assurer l'encadrement de son personnel, niveau chef d'équipe ou OHQ et assurer sa protection individuelle; que l'arrêt attaqué constate (p. 9 6)qu'aucun contremaître ou chef de d'entreprise Y... ne se trouvait sur le chantier;
que, par ailleurs, l'accord du 14 janvier ne prévoyait pas que le personnel de l'entreprise Y... était placé sous la subordination de la société Situb; qu'il s'ensuit que seule la responsabilité pénale du responsable de l'entreprise Y... pouvait être recherchée à la suite du décès de Didier X..., salarié de cette dernière; que, derechef, la déclaration de culpabilité prononcée contre Germain Buquet, employé de la société Situb est illégale;
"alors de troisième part que, contrairement aux énonciations de l'arrêt attaqué, la délégation de pouvoir consentie à Germain Buquet prévoyait, pour celui-ci, la possibilité de subdéléguer ses pouvoirs dans les mêmes domaines que le délégant; que M. Z... avait expressément reconnu avoir reçu délégation de pouvoir de Germain Buquet (PV Poulain); qu'ainsi, c'est en contradiction avec les pièces du dossier que la Cour a retenu la responsabilité pénale de Germain Buquet";
Sur le deuxième moyen de cassation pris de la violation des articles L. 263-6, alinéa 1, L. 231-2, R. 237-3 du Code du travail, 106 à 148 du décret n°65-48 du 8 janvier 1965, arrêté du 18 mars 1993, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré le prévenu coupable d'avoir, en sa qualité de responsable ayant reçu délégation de pouvoir en matière de sécurité, omis de respecter les mesures de sécurité relatives aux plates-formes de travail;
"aux motifs qu'il avait omis de mettre en place des garde-corps ou tout autre protection collective subsidiaire autour du trou de la passerelle par lequel a chuté la victime; que l'imprudence de la victime pour être allée changer un joint dans de telles conditions sans protection individuelle n'était pas la cause unique et exclusive d'un accident qui aurait pu être évité par la vigilance accrue du délégataire de l'entreprise Situb quant à la protection collective;
"alors d'une part que, lorsque les pouvoirs en matière de sécurité ont été régulièrement délégués à un personne ayant la compétence, l'autorité et les moyens nécessaires pour veiller efficacement à l'observation des prescriptions réglementaires, seule cette personne doit répondre de l'infraction consistant à avoir omis de respecter ou de mettre en oeuvre ces prescriptions; qu'en l'espèce, la délégation de pouvoirs qui lui avait été consentie le 10 septembre 1991 donnait au prévenu la faculté de déléguer lui-même ses pouvoirs à un salarié ayant la qualité d'agent de maîtrise; qu'ainsi qu'il y avait été autorisé par ladite délégation, le prévenu avait, pour assurer la sécurité du chantier Générale Sucrière, délégué ses pouvoirs à M. Z..., agent de maîtrise à la société Situb; qu'en déclarant, contre les termes mêmes de la délégation qu'il n'avait pas lui-même la faculté de déléguer ses pouvoirs et en le retenant dans les liens de la prévention, la cour d'appel qui s'est mise en contradiction avec les termes de la délégation n'a pas donné de base légale à la déclaration de culpabilité;
"alors d'autre part que la cour d'appel a relevé que M. Z... avait reconnu avoir donné son accord pour que Didier X... aille effectuer un travail en hauteur sur la passerelle partiellement démontée et qu'il avait admis à l'audience qu'il pouvait d'initiative commander du matériel de sécurité (arrêt p. 12 pénultième et dernier ); que ces énonciations établissent que M. Z... avait la compétence, l'autorité et les moyens nécessaires pour faire respecter les prescriptions réglementaires de sécurité sur le chantier en sorte que la Cour aurait dû tirer de ses constatations les conséquences légales qui s'en déduisaient; que, dès lors, c'est en contradiction avec ses propres constatations que la cour d'appel a décidé que M. Z... n'avait pas été investi de l'autorité et des moyens nécessaires pour faire respecter les règles de sécurité; qu'il s'ensuit que la déclaration de culpabilité de base est illégale";
Les moyens étant réunis ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que, sur un chantier confié à la société Situb, qui a sous-traité les travaux de montage de tuyauteries à l'entreprise Y..., Didier X..., salarié de cette dernière, a fait une chute mortelle en passant à travers l'ouverture non protégée d'une passerelle située à 7,50 m de hauteur; que Germain Buquet, chef de chantier de l'entreprise Situb, délégataire de pouvoirs en matière de sécurité, a été poursuivi sous la prévention d'homicide involontaire et d'infraction à la réglementation relative à la sécurité des travailleurs;
Attendu que pour le déclarer coupable de ces chefs, l'arrêt attaqué retient que l'accord général du 14 janvier 1992 passé entre la société Situb et son sous-traitant Francis Y..., met à la charge de ce dernier l'information de son personnel en matière de sécurité et la fourniture des protections individuelles, tandis que la première est chargée de la mise en place des échafaudages et des protections collectives; que Didier X..., qui devait normalement travailler au sol, est monté sur la passerelle pour effectuer une réparation sur une canalisation sous les directives d'un chef d'équipe de la société Situb, et que la pose d'un filet sous la passerelle était la seule mesure de protection appropriée à la configuration des lieux; que les juges en concluent qu'aucune faute ne peut être reprochée à Francis Y..., employeur de la victime; qu'ils ajoutent, pour écarter le moyen de défense du prévenu tiré d'une prétendue subdélégation de pouvoirs consentie à Philippe Z..., chef d'équipe, que celui-ci n'était ni formellement informé, ni investi de l'autorité nécessaire vis à vis de ses subordonnés pour faire respecter la réglementation relative à la sécurité;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, d'où il résulte que le prévenu, qui n'avait pas valablement délégué ses pouvoirs, a commis une faute en s'abstenant de prévoir une protection collective adéquate, et que celleci est en relation de causalité certaine avec l'accident, les juges ont justifié leur décision sans encourir les griefs allégués;
Que les moyens, qui se bornent à remettre en discussion l'appréciation souveraine par les juges du fond des faits et circonstances de la cause contradictoirement débattus, ne peuvent qu'être écartés;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus;
Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Milleville conseiller doyen, faisant fonctions de président en remplacement du président empêché, Mme Simon conseiller rapporteur, MM. Guerder, Pinsseau, Joly conseillers de la chambre, Mme Fossaert-Sabatier, M. Desportes, Mme Karsenty conseillers référendaires,
Avocat général : M. Cotte ;
Greffier de chambre : Mme Nicolas ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.
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