Jurisprudence sociale
Version gratuite
Cassation sociale, 29 septembre 2021, n° 20-14.629
Une mutation dans le même secteur géographique destinée à priver le salarié des indemnités prévues par un plan de sauvegarde de l’emploi constitue un détournement du pouvoir de direction de l’employeur. Dès lors, bien que cette mutation s’analyse en un simple changement des conditions de travail, le licenciement fondé sur le refus du salarié est sans cause réelle et sérieuse.
RÉPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
LG
COUR DE CASSATION ______________________
Audience publique du 29 septembre 2021
Rejet
Mme FARTHOUAT-DANON, conseiller doyen faisant fonction de président
Arrêt n° 1054 F-D
Pourvoi n° Q 20-14.629
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 29 SEPTEMBRE 2021
La société Belambra Clubs, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° Q 20-14.629 contre l'arrêt rendu le 6 février 2020 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 4-5), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [M] [X], domicilié [Adresse 1],
2°/ à Pôle emploi de [Localité 1], dont le siège est [Adresse 3],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Gilibert, conseiller, les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de la société Belambra Clubs, après débats en l'audience publique du 29 juin 2021 où étaient présentes Mme Farthouat-Danon, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Gilibert, conseiller rapporteur, Mme Van Ruymbeke, conseiller, et Mme Lavigne, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 06 février 2020), M. [X] a été engagé à compter du 21 octobre 1974 par l'association Villages vacances familiales aux droits de laquelle vient la société Belambra Clubs (la société), en qualité de serveur, et était affecté sur le site de [Adresse 4] à [Localité 1].
2. Le salarié ayant refusé son affectation sur un autre site que lui avait proposé son employeur par lettre du 28 mars 2014, ce dernier lui a notifié son licenciement le 21 novembre 2014.
3. Contestant son licenciement, le salarié a saisi la juridiction prud'homale.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
4. L'employeur fait grief à l'arrêt de dire que le licenciement du salarié est dépourvu de cause réelle et sérieuse, de le condamner à lui verser les indemnités de rupture et une somme à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors :
« 1°/ qu'en vertu de son pouvoir de direction, l'employeur peut unilatéralement modifier les conditions de travail de son salarié ; que le refus du salarié de se soumettre aux nouvelles conditions de travail constitue une faute de nature à justifier son licenciement, à moins que le salarié ne démontre que la modification de ses conditions de travail était constitutive d'un abus de droit ou d'un détournement de pouvoir ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que le changement litigieux portait sur les seules conditions de travail de M. [X] ; qu'en décidant toutefois que le refus de M. [X] de soumettre aux nouvelles conditions de travail n'était pas fautif, sans constater que le changement imposé par l'employeur était constitutif d'un abus de droit ou d'un détournement de pouvoir, la cour d'appel a violé les articles L. 1232-1 et L. 1235-1 du code du travail ;
2°/ que le plan de sauvegarde pour l'emploi a pour objet d'éviter les licenciements ou d'en limiter le nombre ; qu'il en résulte qu'un salarié dont le licenciement n'a jamais été envisagé n'a aucun droit au bénéfice du plan de sauvegarde pour l'emploi ; qu'en retenant, pour justifier le caractère non fautif du refus de M. [X] de se soumettre à ses nouvelles conditions de travail, le fait que la nouvelle affectation de M. [X] était contemporaine de l'élaboration d'un plan de sauvegarde pour l'emploi et qu'il aurait dû « en toute logique faire l'objet d'un licenciement dans le cadre de ce plan », la cour d'appel qui s'est fondé sur des motifs impropres à caractériser un détournement de pouvoir, a violé l'article L. 1232-1 et L. 1235-1 du code du travail, ensemble l'article L. 1233-61 du même code ;
3°/ que lorsque l'intimé ne comparait pas ou ne conclut pas, la cour d'appel est tenue de s'expliquer sur les motifs retenus par les premiers juges pour rejeter les prétentions de l'appelant ; qu'en décidant que le refus de M. [X] de soumettre à ses nouvelles conditions de travail n'était pas fautif sans rechercher si, comme l'avaient retenu les premiers juges, l'affectation de M. [X] n'était pas justifiée par l'existence d'un poste vacant sur le club « [1] » sachant que le changement d'affectation avait été décidé avant la consultation du comité d'entreprise sur le plan de sauvegarde pour l'emploi, la cour d'appel a violé l'article 472 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
5. La cour d'appel, appréciant souverainement les éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis, a fait ressortir que le changement d'affectation du salarié, qui travaillait depuis trente neuf ans au centre [Adresse 4] dont les quarante postes étaient supprimés, afin d'éluder le versement des indemnités prévues par le plan de sauvegarde de l'emploi en préparation, procédait d'un détournement par l'employeur de son pouvoir de direction, et a, par ces motifs, légalement justifié sa décision.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Belambra Clubs aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Belambra Clubs ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-neuf septembre deux mille vingt et un. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Foussard et Froger, avocat aux Conseils, pour la société Belambra Clubs
L'arrêt infirmatif attaqué encourt la censure ;
EN CE QU'il a dit que le licenciement de M. [X] est dépourvue de cause réelle et sérieuse, puis condamné la société BELAMBRA CLUBS à lui verser 21 948,60 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, 3 658,10 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 365 euros au titre des congés payés y afférentes et 32 374,18 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement ;
AUX MOTIFS QUE « La lettre de licenciement en date du 21 novembre 2014 est ainsi motivée : "Nous vous avons adressé, le 29 octobre 2014, par lettre recommandée avec accusé de réception, une convocation à un entretien, préalable fixé le 14 novembre 2014 en vue d'examiner une éventuelle sanction disciplinaire pouvant aller jusqu'à une mesure de licenciement. Vous ne vous êtes pas présenté à cet entretien. Nous constatons en effet votre absence injustifiée à votre poste de travail au sein du Club Belambra [1] à [Localité 1] depuis le 19 octobre 2014. Vous n'avez donné aucune suite à la mise en demeure qui vous a été notifiée par courrier recommandé avec accusé de réception le 21 octobre 2014, vous enjoignant de reprendre vos fonctions ou de justifier votre absence. Compte tenu de la gravité des faits, votre maintien dans l'entreprise s'avère donc impossible. En conséquence, dans la mesure où sont mis en évidence des éléments constitutifs' d'une absence injustifiée et d'une inexécution de votre contrat de travail, nous vous notifions votre licenciement pour faute grave étant précisé que celui-ci est privatif de toute indemnité de préavis et de licenciement, La faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise et justifie la cessation immédiate du contrat de travail. M. [X] invoque en premier lieu une modification substantielle de son contrat de travail par une mutation géographique qu'il était donc en droit de refuser et qui de fait, rend illégitime le licenciement prononcé pour faute grave. La modification du contrat de travail concerne les éléments qui ont été déterminants pour sa conclusion, certains de ces éléments l'étant par nature, tels, la rémunération, la durée du travail et la qualification, en ce qu'ils constituent le socle du contrat de travail. Il convient s'agissant des autres éléments, de rechercher la volonté des parties. Il est établi que le changement de lieu de travail d'un salarié dont le contrat de travail ne comporte pas de dispositions visant soit à fixer précisément son lieu de travail, soit au contraire à écarter toute localisation du travail (clause de mobilité), et qui n'est pas soumis à une obligation de mobilité en vertu de la convention collective applicable constitue une modification du contrat, soumise à l'accord préalable de l'intéressé, dès lors qu'il s'effectue dans un secteur géographique distinct du précédent. A l'inverse, le changement de lieu de travail, qui doit être apprécié de manière objective, c'est-à-dire selon des critères identiques pour tous les salariés, constitue un simple changement des conditions de travail, s'imposant au salarié, lorsqu'il s'opère à l'intérieur d'un même secteur géographique. Les premiers juges ont exactement relevé que le contrat de travail de M. [X] ne stipule pas par une clause claire et précise qu'il exécutera son travail dans le lieu initial dans lequel il a été affecté, puisqu'il y est indiqué qu'il travaillera à "[Localité 1]" et non au centre "[Adresse 4]", qu'il est également prévu qu'en fonction des périodes d'activité de l'installation à laquelle il est rattaché, des mutations, des polyvalences d'emploi ou l'application de l'article 19 de l'accord d'entreprises peuvent être envisagés", de sorte que le salarié ne peut se prévaloir d'une contractualisation de son lieu de travail dans un lieu précis, que l'article 17 de la convention collective prévoit, qu'en dehors des changements de lieu d' affectation prévus au contrat de travail, l'employeur peut être amené en cas de vacances de poste, de limitations d'activité, de création de nouveaux centres, à proposer à un salarié permanent de l'entreprise un autre emploi où une autre affectation entraînant un changement de résidence, auquel cas le salarié est fondé à refuser cette mutation, et à conserver son poste, sauf dans l'hypothèse de sa suppression, qu'en l'espèce, le lieu de travail de M. [X] est identique, le poste vacant existant sur le site "Vendôme lui assurant la conservation de sa qualification, de sa rémunération et de son statut, que la distance de 1,3km entre les deux sites ne permettait pas de caractériser une affectation dans un secteur géographique différent. M. [X] allègue en second lieu un détournement de procédure, au motif que son affectation sur le site de Vendôme coïncidait avec le projet de mise en place d'un plan de sauvegarde à l'emploi consécutif à la cessation de l'activité sur le site [Adresse 4] et que celle-ci a été décidée dans le but de l'exclure du dispositif. Il résulte des pièces du dossier qu'un plan social pour l'emploi a été envisagé courant janvier 2014, discuté en comité central d'entreprise et avec les délégués du personnel en février 2014, homologué par la DIRECCTE le 20 mai 2014 et entériné suivant procès-verbal de la réunion du comité d'entreprise du 25 juin 2014, que le plan de sauvegarde de l'emploi et le projet de licenciement concernaient les 40 salariés du centre Latoumerie, en raison de la non reconduction du mandat de gestion à la suite de la vente des locaux par la CNASSM, qu'en définitive, les 40 postes ont été supprimés. Il apparaît que la SAS BELAMBRA CLUBS a décidé d'affecter M. [X] sur un poste vacant au centre Le Vendôme à [Localité 1] par courrier du 28 mars 2014, alors même que le projet de plan de sauvegarde de l'emploi était en cours de négociation et qu'il aurait dû en toute logique faire l'objet d'un licenciement dans le cadre du PSE, tout comme les autres salariés du centre Latournerie, l'intérêt de la SAS BELAMBRA de faire le choix de la mutation étant manifeste au regard de l'ancienneté de M. [X] et de son âge. Compte tenu des circonstances ci-dessus décrites, le refus du salarié de rejoindre le poste sur le site "Le Vendôme" ne peut apparaître comme fautif. Dès lors, le licenciement doit être considéré comme dépourvu de cause réelle et sérieuse, et a fortiori, non fondé sur une faute grave, laquelle se caractérise par une violation des obligations résultant du contrat de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise pendant la durée du préavis. » ;
ALORS QUE, premièrement, en vertu de son pouvoir de direction, l'employeur peut unilatéralement modifier les conditions de travail de son salarié ; que le refus du salarié de se soumettre aux nouvelles conditions de travail constitue une faute de nature à justifier son licenciement, à moins que le salarié ne démontre que la modification de ses conditions de travail était constitutive d'un abus de droit ou d'un détournement de pouvoir ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que le changement litigieux portait sur les seules conditions de travail de M. [X] ; qu'en décidant toutefois que le refus de M. [X] de soumettre aux nouvelles conditions de travail n'était pas fautif, sans constater que le changement imposé par l'employeur était constitutif d'un abus de droit ou d'un détournement de pouvoir, la cour d'appel a violé les articles L. 1232-1 et L. 1235-1 du code du travail ;
ALORS QUE, deuxièmement, que le plan de sauvegarde pour l'emploi a pour objet d'éviter les licenciements ou d'en limiter le nombre ; qu'il en résulte qu'un salarié dont le licenciement n'a jamais été envisagé n'a aucun droit au bénéfice du plan de sauvegarde pour l'emploi ; qu'en retenant, pour justifier le caractère non fautif du refus de M. [X] de se soumettre à ses nouvelles conditions de travail, le fait que la nouvelle affectation de M. [X] était contemporaine de l'élaboration d'un plan de sauvegarde pour l'emploi et qu'il aurait dû « en toute logique faire l'objet d'un licenciement dans le cadre de ce plan », la cour d'appel qui s'est fondé sur des motifs impropres à caractériser un détournement de pouvoir, a violé L. 1232-1 et L. 1235-1 du code du travail, ensemble l'article L. 1233-61 du même code ;
ALORS QUE, troisièmement, lorsque l'intimé ne comparait pas ou ne conclut pas, la cour d'appel est tenue de s'expliquer sur les motifs retenus par les premiers juges pour rejeter les prétentions de l'appelant,; qu'en décidant que le refus de M. [X] de soumettre à ses nouvelles conditions de travail n'était pas fautif sans rechercher si, comme l'avaient retenu les premiers juges, l'affectation de M. [X] n'était pas justifiée par l'existence d'un poste vacant sur le club « [1] » sachant que le changement d'affectation avait été décidé avant la consultation du comité d'entreprise sur le plan de sauvegarde pour l'emploi, la cour d'appel a violé l'article 472 du code de procédure civile.ECLI:FR:CCASS:2021:SO01054
Aller plus loin sur “Jurisprudence Licenciement pour motif économique”
Articles liés du Code du travail
|
|