Cassation criminelle, 25 janvier 2000, n° 97-86.355 cassation sociale - Editions Tissot

Jurisprudence sociale

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Cassation criminelle, 25 janvier 2000, n° 97-86.355

N’est pas valide la délégation de pouvoir donnée à un chef de dépôt qui pouvait commander du matériel, mais ne réglait pas les factures, et ne jouait qu’un rôle de présélection à l’embauche des salariés placés sous ses ordres.

Cour de cassation
chambre criminelle
Audience publique du mardi 25 janvier 2000
N° de pourvoi: 97-86355
Non publié au bulletin Rejet

Président : M. GOMEZ, président


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt-cinq janvier deux mille, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de M. le conseiller référendaire DESPORTES, les observations de la société civile professionnelle MASSE-DESSEN, GEORGES et THOUVENIN, et de Me COPPER-ROYER, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général LUCAS ;

Statuant sur le pourvoi formé par :

- DE SOUSA Z... Manuel,

contre l'arrêt de la cour d'appel de POITIERS, chambre correctionnelle, en date du 30 octobre 1997, qui, pour blessures involontaires, l'a condamné à 4 mois d'emprisonnement assorti du sursis avec mise à l'épreuve pendant 18 mois, à 30 000 francs d'amende, a ordonné la publication de la condamnation et prononcé sur l'action civile ;

Vu les mémoires produits en demande et en défense ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles L.711-12 du Code du travail, 385 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré le chef d'une entreprise (Manuel De Sousa Z...), exploitant une carrière, coupable de blessures involontaires sur la personne d'un salarié (Thierry Y...) par inobservation des règlements pour avoir omis de mettre en place les dispositifs de protection nécessaires aux travaux effectués sur un extracteur, et ce sur la foi de procès-verbaux d'un inspecteur du travail dont il a refusé de prononcer la nullité ;

"aux motifs que l'exception de nullité des procès- verbaux et de la procédure subséquente était, en application de l'article 385 du Code de procédure pénale, irrecevable en cause d'appel, en sorte qu'elle devait être rejetée ;

"alors qu'il résulte des motifs mêmes du jugement confirmé que cette exception avait bien été invoquée puisque les premiers juges l'avaient écartée en retenant que l'établissement au sein duquel s'était produit l'accident était soumis aux textes visés dans la citation et non aux dispositions dérogatoires appliquées aux mines et carrières, l'exploitation ne pouvant être considérée comme faisant partie d'une mine ou d'une carrière au regard des articles 1 et 2 du Code minier dans la mesure où il s'agissait, non d'un gîte de substance minérale renfermée dans le sein de la terre ou existant à la surface, mais de matériaux de construction transportés sur place pour être traités avant leur commercialisation ; qu'en outre, le sable ne figurait pas dans la liste des substances minérales ou fossiles ressortissant au régime des mines et carrières énoncée à l'article 2 du même Code ; que, dès lors, la cour d'appel ne pouvait déclarer irrecevable l'exception de nouveau soulevée par le prévenu" ;

Attendu que, contrairement à ce qui est soutenu au moyen, il ne résulte d'aucune mention du jugement entrepris, ni d'aucunes conclusions régulièrement déposées que le prévenu ait soulevé devant les premiers juges l'exception de nullité des procès-verbaux établis par l'inspection du travail ;

Attendu qu'en cet état, c'est à bon droit que la cour d'appel a déclaré cette exception irrecevable par application de l'article 385 du Code de procédure pénale ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles L.231-1, L.231-1-1, L.711-12, L.712-1 et suivants, R.711-6 et suivants, L.263-2-1 du Code du travail, de l'ensemble des disposi- tions de la circulaire du 25 octobre 1996 émanant conjointement des ministres du Travail et des Affaires Sociales, de l'Industrie, de La Poste et des Télécommunications, de l'Equipement, du Logement, des Transports et du Tourisme, pris pour l'application de l'article L.711-12 du Code du travail, de l'article 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré le chef d'une entreprise (Manuel De Sousa Z...), exploitant une carrière, coupable de blessures involontaires sur la personne d'un salarié par inobservation des règlements en omettant de mettre en place les dispositifs de protection nécessaires aux travaux effectués sur un extracteur ;

"aux motifs que, pour se voir dire inapplicable le titre du Code du travail relatif à l'hygiène et à la sécurité, le demandeur produisait l'arrêté du ministre compétent ayant, le 28 juillet 1992, accordé à la SACA, pour une durée de cinq ans et en vertu du Code minier, l'autorisation d'exploiter des "sables siliceux marins" d'une superficie d'environ 1,5 km, à proximité des côtes de la Charente-Maritime, le périmètre de ce permis étant précisé en longitude et latitude ; qu'il convenait de préciser que le sable était extrait en mer et ensuite transporté par bateau (audition Gorry) sur le chantier où s'était produit l'accident ; qu'il y était trié et mis en oeuvre pour son expédition à des fins commerciales ; qu'il résultait expressément de la circulaire conjointe des ministres du Travail, de l'Industrie et de l'Equipement du 25 octobre 1996 que le titre du Code du travail relatif à l'hygiène et à la sécurité des travailleurs était applicable aux installations de traitement de produits extraits (3.2., p. 9) lorsqu'elles étaient, comme en l'espèce, situées hors du périmètre d'autorisation d'exploiter ; que les deux inspecteurs de l'Industrie et du Travail s'étaient d'ailleurs déplacés sur les lieux comme en attestait M. X... pour conclure à la compétence expressément affirmée au procès-verbal du 4 décembre 1995 de l'inspection du travail ; que le demandeur était donc mal fondé à soutenir que les dispositions du Code du travail relatives à la sécurité des travailleurs ne pouvaient lui être opposées ;

"alors que, d'une part, les dispositions du Code du travail relatives à l'hygiène et à la sécurité ne sont pas applicables aux mines et carrières et leurs dépendances ; qu'une circulaire ministérielle, aurait-elle un caractère réglementaire, ne saurait déroger à la loi ou lui apporter une restriction qu'elle ne comporte pas ; que la cour d'appel ne pouvait donc, sans commettre une erreur de droit, faire prévaloir l'article 3.2 de la circulaire du 25 octobre 1996 sur l'article L.231-1-1 du Code du travail ;

"alors que, d'autre part, l'article 3.2 de la circulaire du 25 octobre 1996 ne concerne que les activités exercées dans les carrières sur les voies d'eau navigables sans pouvoir s'appliquer aux autres, telles les carrières d'extraction de sable marin, visées quant à elles aux articles 1.2 et suivants ; qu'ayant constaté que la société dont le demandeur était le dirigeant exploitait des sables siliceux marins et que sur le chantier où s'était produit l'accident le sable extrait en mer était trié et mis en oeuvre pour son expédition à des fins commerciales, la cour d'appel ne pouvait donc, sans violer l'ensemble des dispositions de la circulaire du 25 octobre 1996, relative aux opérations effectuées sur les cours d'eau navigables et à laquelle elle a conféré force de loi, en faire application à l'extraction de sable marin ;

"alors que, enfin et en tout état de cause, il résulte des articles 1.2.2.1 et 3.1.1 de ladite circulaire que les opérations effectuées avec une machine d'extraction sont dans tous les cas contrôlées par des fonctionnaires chargés des mines ; qu'après avoir constaté que l'accident était survenu tandis que la victime travaillait sur un engin de ce type, la cour d'appel ne pouvait considérer que le contrôle relevait des dispositions du Code du travail relatives à l'hygiène et à la sécurité des travailleurs, sans violer les dispositions de la circulaire du 25 octobre 1996 dont elle a cru devoir faire application" ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que le 31 octobre 1995, alors qu'il était occupé au nettoyage du mécanisme d'un tapis roulant en fonctionnement, un salarié de la société Atlantique Charente Agrégats (SACA) a eu le bras entraîné puis arraché par la machine ;

qu'après avoir constaté que les pièces mobiles de celle-ci n'étaient pas munies de dispositif protecteur et qu'aucune consigne n'avait été donnée pour leur nettoyage, l'inspecteur du travail a relevé un manquement aux prescriptions des articles R. 233-3, alinéa 1er, ancien et R. 233-8 du Code du travail ; que le président de la société SACA, Manuel de Sousa Z..., a été poursuivi pour blessures involontaires dans le cadre du travail ;

Attendu que, devant les juges du fond, le prévenu a soutenu que, l'accident étant survenu dans une installation constituant la dépendance d'une exploitation de sables siliceux marins assurée par la société SACA, l'application des dispositions du Code du travail relatives à la sécurité des travailleurs se trouvait exclue par l'article L. 231-1-1, alinéa 1er, de ce Code ;

Attendu que, pour écarter cette argumentation et retenir à l'encontre du prévenu, au titre de la faute constitutive du délit poursuivi, un manquement aux prescriptions des textes réglementaires précités, les juges du second degré énoncent que l'installation sur laquelle s'est produit l'accident était située en dehors des limites de l'exploitation telles que fixées par l'autorisation ministérielle accordée à la société, et qu'elle avait pour objet le traitement du sable extrait des fonds marins, en vue de sa commercialisation ;

Attendu qu'en l'état de ces seuls motifs, exempts d'insuffisance ou de contradiction, d'où il résulte que, n'étant pas indispensable à l'exploitation elle-même, l'installation ne constituait pas la dépendance d'une mine ou d'une carrière au sens de l'article L. 231-1-1 du Code du travail, et dès lors qu'au surplus, les prescriptions prévues par l'article R. 233-8 du Code du travail étant reprises à l'article 5 du titre "Equipement de travail" du règlement général des industries extractives institué par le décret n° 80-331 du 7 mai 1980, modifié, elles auraient été applicables même si l'accident s'était produit dans une installation dépendant de l'exploitation, la cour d'appel a justifié la décision ;

D'où il suit que le moyen, inopérant en ce qu'il reproche aux juges d'avoir méconnu les termes d'une circulaire, doit être écarté ;

Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 222-19, alinéa 1, du Code pénal, des articles L.263-2, L.263-2-1 du Code du travail, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré le dirigeant d'une entreprise (Manuel De Sousa Z..., le demandeur), exploitant une carrière, coupable de blessures involontaires sur la personne d'un salarié par inobservation des règlements, en omettant en l'espèce de mettre en place les dispositifs de protection nécessaires aux travaux effectués sur un extracteur (protection sur le tambour, carter de protection sur les courroies, absence de système d'arrêt d'urgence, absence de consignes d'intervention lors des opérations de nettoyage ou de débourrage) et, pour ce faire, d'avoir écarté le moyen tiré de ce qu'une délégation de pouvoirs avait été consentie au chef du dépôt où était survenu le sinistre ;

"aux motifs qu'aucune délégation écrite de pouvoirs n'ayant été consentie au chef de dépôt, M. X..., le demandeur n'était pas fondé à prétendre que cette délégation ressortait sans ambiguïté du constat que l'intéressé passait régulièrement commande pour des matériels et des travaux d'entretien sur le chantier concerné ; que l'enquête avait établi (audition de M. X... du 10 octobre 1996) que ce dernier, s'il passait commande, ne réglait pas les factures ; qu'il n'avait eu, dans l'embauche de ses collègues, qu'un mandat de présélection ; qu'il n'avait de délégation expresse que pour signer les courriers recommandés ; qu'il percevait un salaire modeste ; que ces considérations excluaient une délégation expresse et sans ambiguïté de pouvoirs au profit du chef de dépôt ;

"alors que la délégation de pouvoirs susceptible d'exonérer l'employeur de toute responsabilité pénale en cas d'accident du travail imputable à un manquement à des règles de sécurité s'entend, non d'une délégation de signature permettant au délégué d'accomplir des actes de gestion ou susceptibles d'engager financièrement l'entreprise, mais d'une délégation non nécessairement écrite de certains pouvoirs donnés par l'employeur à un préposé ayant la compétence technique et l'autorité requise pour veiller au respect des règles de sécurité ; qu'en retenant qu'il résultait de l'audition du chef de dépôt, dont la responsabilité pénale pouvait être recherchée si sa qualité de délégué était reconnue, que s'il passait les commandes il ne réglait pas les factures, n'avait dans l'embauche de ses collègues qu'un mandat de présélection et n'avait de délégation expresse que pour signer les courriers recommandés, la cour d'appel a assimilé à tort la délégation conférée à un préposé ayant la compétence technique et l'autorité nécessaire pour veiller aux règles de sécurité à la délégation de signer tous actes ;

"alors que, en outre, la cour d'appel ne pouvait s'abstenir de rechercher si la délégation donnée au chef du dépôt pour acheter du matériel n'était pas de nature à établir la délégation de pouvoirs invoquée par l'employeur ;

"alors que, au surplus, la cour d'appel ne pouvait omettre de préciser quelles étaient les attributions de M. X..., en sa qualité reconnue de chef de dépôt et si elles n'étaient pas propres à caractériser la délégation litigieuse ;

"alors que, d'autre part, tenu de motiver sa décision, le juge ne peut statuer par voie d'affirmations ; que la cour d'appel ne pouvait retenir que le chef de dépôt percevait un salaire modeste, sans préciser en quoi consistait concrètement sa rémunération" ;

Attendu que le moyen revient à discuter l'appréciation souveraine par les juges du second degré des faits et circonstances de la cause et des éléments de preuve contradictoirement débattus dont ils ont déduit, par des motifs exempts d'insuffisance ou de contradiction, que le prévenu n'avait pas délégué ses pouvoirs en matière de sécurité ;

Qu'un tel moyen ne peut être admis ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Gomez président, M. Desportes conseiller rapporteur, MM. Pinsseau, Joly, Mmes Simon, Chanet, Anzani, M. Dulin conseillers de la chambre, Mme Karsenty conseiller référendaire ;

Avocat général : M. Lucas ;

Greffier de chambre : Mme Krawiec ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.