Cassation criminelle, 11 décembre 1996, n° 95-85.341 cassation sociale - Editions Tissot

Jurisprudence sociale

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Cassation criminelle, 11 décembre 1996, n° 95-85.341

N’est pas délégataire de pouvoirs un agent de sécurité qui n’a aucun pouvoir de commandement sur le personnel.

Cour de cassation
chambre criminelle
Audience publique du mercredi 11 décembre 1996
N° de pourvoi: 95-85341
Non publié au bulletin Rejet

Président : M. Le GUNEHEC, président


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le onze décembre mil neuf cent quatre-vingt-seize, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire BATUT, les observations de la société civile professionnelle de CHAISEMARTIN et COURJON, de la société civile professionnelle PEIGNOT et GARREAU et de la société civile professionnelle CELICE et BLANCPAIN, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général de Z...;

Statuant sur le pourvoi formé par :

- X... Fabien, partie civile,

contre l'arrêt de la cour d'appel de REIMS, chambre correctionnelle, du 4 octobre 1995, qui l'a débouté de ses demandes, après avoir relaxé Martine B... du chef de blessures involontaires;

Vu les mémoires produits en demande et en défense ;

Sur le moyen unique de cassation pris de la violation des articles 319 et 320 du Code pénal, 222-19, 222-44 et 222-46 du nouveau Code pénal, L. 263-2 du Code du travail, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale;

"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a renvoyé Martine B... des fins de la poursuite et déclaré mal fondée la constitution de partie civile de Fabien X...;

"aux motifs que (arrêt, p. 4 à 8) Martine B... qui est salariée de la Sucrerie de Bazancourt, a été détachée à temps partiel auprès de la société Chamtor au mois de mai 1991 pour assurer la mission de chef de projet du chantier de construction de l'usine Chamtor de Bazancourt; à la suite de la démission de M. Y..., directeur de l'usine, à la fin du mois de mars 1993, le conseil d'administration de la société Chamtor a décidé, le 30 mars 1993, de confier à la prévenue la direction industrielle de l'usine; (...) que sa nomination en qualité de directrice est intervenue le 11 mai 1993; (...) que le caractère à la fois très temporaire et précaire des fonctions de directrice industrielle confiées à Martine B... ne lui permettait pas de prendre des initiatives ayant un impact significatif sur l'amélioration des installations de l'usine en travail, faute notamment de pouvoir engager des investissements nécessaires à cette fin; en outre, le désaccord persistant opposant la société Champagne céréales, actionnaire majoritaire de la société Chamtor et la sucrerie de Bazancourt, actionnaire minoritaire et employeur de Martine B..., était nécessairement de nature à diminuer très largement l'autorité de celle-ci; dans ces conditions, il convient de considérer que Martine B... ne bénéficiait ni de l'autorité suffisante, ni des moyens nécessaires à l'exercice dans sa plénitude de la délégation de pouvoirs qui lui avait été confiée et notamment qu'elle n'était pas en mesure d'imposer une modification des installations pour assurer une plus grande sécurité, ni de modifier les règlements se rapportant à la sécurité des matériels et des personnes et que sa compétence ne peut être retenue qu'en matière de formation du personnel et
d'application de la législation du travail et des prescriptions du règlement intérieur relatives à la sécurité des personnes et des installations; (...) qu'en dépit de l'absence de toute réglementation spécifique sur ce point, l'installation des vannes de commande à l'intérieur des bacs de rétention, contraignant ainsi le personnel à descendre dans la cuve dans des conditions précaires en cas d'incident nécessitant leur fermeture, peut être d'autant plus sévèrement critiquée que la position des vannes et l'absence d'échelle d'accès fixes avaient fait l'objet de questions lors de plusieurs séances du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, notamment les 21 décembre 1992, 22 janvier, 22 février et 30 mars 1993; que toutefois, il résulte des motifs précités qu'en dépit de sa délégation de pouvoirs, Martine B... ne disposait pas de l'autorité nécessaire pour faire entreprendre une modification des installations; qu'en la matière, ladite délégation ne lui permettait au demeurant que de formuler des propositions au directeur général et d'émettre des réserves, de sorte que sa responsabilité ne peut être retenue sur ce point; qu'il convient en outre d'observer que l'accident est survenu trop peu de temps après sa nomination pour lui permettre d'engager une action significative dans ce domaine; (...) que Fabien X... a incontestablement commis une faute, même si la responsabilité directe de l'accident incombe tout autant au défaut de précision des consignes qui lui ont été données et à l'absence d'une surveillance de son comportement qui aurait dû être d'autant plus attentive de la part d'Eric A... que Fabien X... n'appartenait pas au personnel de maintenance et ne bénéficiait d'aucune expérience de ce type d'intervention;

"alors, d'une part, que le directeur ou chef d'établissement, qui entre dans les prévisions de l'article L. 263-2 du Code du travail, a nécessairement les pouvoirs et le devoir de faire respecter les obligations du Code du travail en matière d'hygiène et de sécurité; que la cour d'appel a constaté qu'à la suite de la démission du précédent directeur de l'usine, à la fin du mois de mars 1993, le conseil d'administration de la société Chamtor avait décidé, le 30 mars 1993, de confier à Martine B..., jusqu'alors chef de projet du chantier de construction de l'usine Chamtor de Bazancourt, la direction industrielle de cette usine et que sa nomination en qualité de directrice était intervenue le 11 mai 1993; que dès lors, il importait peu que, comme l'a relevé l'arrêt attaqué, Martine B..., en dépit de sa délégation de pouvoirs, n'ait pas disposé de l'autorité ou des moyens nécessaires du fait que ses fonctions auraient été précaires ou nouvelles; qu'en se fondant sur des motifs inopérants, la cour d'appel a méconnu les conséquences légales de ses propres constatations, violant ainsi les textes susvisés;

"alors, d'autre part, et subsidiairement que la faute de la victime n'exonère l'employeur de son obligation générale de sécurité qu'à la seule condition qu'elle constitue la cause exclusive de l'accident; qu'en l'espèce, en imputant à faute le comportement de Fabien X..., tout en constatant que la responsabilité directe de l'accident incombait tout autant au défaut de précision des consignes données au salarié par son supérieur, M. A..., et à l'insuffisance de la surveillance du comportement du salarié, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé les textes susvisés;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que le 11 juin 1993, Fabien X..., salarié d'un établissement de la société Chamtor, a entrepris, après avoir revêtu une tenue de protection, de descendre dans une cuve d'acide sulfurique présentant une fuite, afin d'accéder à la vanne de fermeture; que, s'étant laissé glisser à un endroit où le bac de rétention, aménagé en puisard, présentait une profondeur plus importante, il a été immergé jusqu'à la taille et a subi d'importantes brûlures;

Attendu que le directeur général de la société Chamtor, bénéficiaire d'une délégation de pouvoirs, et Martine B..., directrice industrielle de l'usine, titulaire d'une subdélégation de pouvoirs concernant l'hygiène et la sécurité du travail, ont été cités devant le tribunal correctionnel pour délit de blessures involontaires, par inobservation de l'article R. 233-46 du Code du travail, qui prévoit, en son premier alinéa, que les cuves, bassins et réservoirs doivent être construits, installés et protégés dans les conditions assurant la sécurité des travailleurs;

Attendu que, saisie des appels interjetés par Martine B..., déclarée seule coupable de l'infraction poursuivie, ainsi que par la société Chamtor, civilement responsable, la juridiction du second degré, pour relaxer l'intéressée et débouter la partie civile de ses demandes, relève d'abord qu'en raison du caractère temporaire et précaire des fonctions de la prévenue, nommée chef d'établissement en mai 1993 pour quelques semaines seulement, celle-ci n'avait pas le pouvoir d'améliorer la sécurité par une modification des installations existantes; que les juges ajoutent que, la cuve étant dépourvue de tout dispositif permettant d'y descendre et surplombée d'une passerelle munie d'un garde-corps, il était inutile, compte tenu du caractère à l'évidence dangereux d'une intrusion dans le bac de rétention, d'en interdire autrement l'accès; qu'ils retiennent que Martine B... ne disposait d'aucun moyen pour prévenir le comportement imprudent du salarié concerné résultant, soit d'une initiative personnelle de celui-ci, soit du défaut de précision des consignes données par l'agent de maîtrise présent sur les lieux;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, procédant d'une appréciation souveraine des faits et circonstances de la cause contradictoirement débattus, ainsi que de la valeur et de la portée de la subdélégation de pouvoirs consentie à la prévenue, dont elle a déduit que celle-ci ne disposait pas des pleins pouvoirs d'un chef d'établissement, et que, dans le domaine limité de sa compétence, elle n'avait commis aucune faute en relation avec l'accident, la cour d'appel a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués;

D'où il suit que le moyen doit être écarté ;

Sur la demande de Martine B... tendant à ce qu'il lui soit alloué par la Cour de Cassation une somme de 9 000 francs au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale;

Attendu que les dispositions de ce texte - édictées au bénéfice de la seule partie civile - ne concernent que les juridictions du fond;

Que, dès lors, la demande ne saurait être accueillie ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi ;

REJETTE la demande de Martine B... ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus;

Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Le Gunehec président, Mme Batut conseiller rapporteur, MM. Guilloux, Massé, Fabre, Mme Baillot, M. Le Gall conseillers de la chambre, M. Poisot conseiller référendaire;

Avocat général : M. de Gouttes ;

Greffier de chambre : Mme Nicolas ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.