Conseil d’État, 7 octobre 2021, n° 430899 cassation sociale - Editions Tissot

Jurisprudence sociale

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Conseil d’État, 7 octobre 2021, n° 430899

Le refus illégal par l’inspection du travail de se prononcer sur une demande d'autorisation de licenciement d’un salarié protégé constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l'État à l'égard de celui-ci, pour autant qu'il en soit résulté pour lui un préjudice direct et certain.

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Limoges de condamner l'Etat à lui verser la somme de 43 320,23 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis en raison de l'illégalité de la décision du 7 septembre 2009 par laquelle l'inspecteur du travail de l'unité territoriale de la Haute-Vienne s'est déclaré incompétent pour statuer sur la demande d'autorisation de licenciement pour inaptitude physique présentée par son employeur, la commune de Saint-Yrieix-la-Perche. Par un jugement n° 1401773 du 16 février 2017, le tribunal administratif a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 17BX00836 du 18 mars 2019, la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté l'appel formé par M. A... contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 20 mai et 20 août 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Thalia Breton, auditrice,

- les conclusions de M. Raphaël Chambon, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois, Sebagh, avocat de M. A... ;




Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le maire de Saint-Yrieix-la-Perche a sollicité l'autorisation de licencier pour inaptitude physique M. A..., délégué du personnel, employé dans l'abattoir exploité en régie par la commune. Par une décision du 7 septembre 2009, l'inspecteur du travail de l'unité territoriale de la Haute-Vienne a refusé de se prononcer sur cette demande, estimant que l'administration était incompétente pour se prononcer sur le licenciement d'un salarié employé par une régie municipale. M. A..., qui a été licencié le 17 septembre 2009, a ultérieurement recherché la responsabilité de l'Etat afin d'obtenir réparation du préjudice qu'il estime avoir subi du fait de l'illégalité de la décision de l'inspecteur du travail. Par un jugement du 16 février 2017, le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande. M. A... se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 18 mars 2019 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté son appel formé contre ce jugement.

2. En application des dispositions du code du travail, le licenciement d'un salarié protégé ne peut intervenir que sur autorisation de l'autorité administrative. Le refus illégal de se prononcer sur une demande d'autorisation de licenciement constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat à l'égard du salarié, pour autant qu'il en soit résulté pour lui un préjudice direct et certain. Lorsqu'un salarié sollicite, à ce titre, le versement d'une indemnité, il appartient au juge, dans l'hypothèse où la décision de l'autorisation administrative refusant de se prononcer sur la demande d'autorisation de licenciement est illégale, de rechercher, en forgeant sa conviction au vu de l'ensemble des pièces produites par les parties et, le cas échéant, en tenant compte du motif pour lequel le juge administratif a annulé cette décision, si une décision d'autorisation aurait pu légalement être prise.

3. Dans le cas où la demande de licenciement d'un salarié protégé est motivée par l'inaptitude physique, il appartient à l'administration de s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, que l'employeur a, conformément aux dispositions de l'article L. 1226-2 du code du travail, cherché à reclasser le salarié sur d'autres postes appropriés à ses capacités, le cas échéant par la mise en œuvre, dans l'entreprise, de mesures telles que mutations ou transformations de postes de travail ou aménagement du temps de travail. Le licenciement ne peut être autorisé que dans le cas où l'employeur n'a pu reclasser le salarié dans un emploi approprié à ses capacités au terme d'une recherche sérieuse, menée tant au sein de l'entreprise que dans les entreprises dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation permettent, en raison des relations qui existent avec elles, d'y effectuer la permutation de tout ou partie de son personnel.

4. Il ressort des termes mêmes de l'arrêt attaqué que, pour juger que M. A... n'était pas fondé à demander la réparation du préjudice qu'il estimait avoir subi du fait du refus de l'inspecteur du travail de se prononcer sur l'autorisation de licenciement demandée par son employeur, la cour administrative d'appel de Bordeaux a retenu l'absence de lien de causalité direct entre l'illégalité entachant la décision de l'inspecteur du travail et le préjudice allégué, au motif que M. A... n'apportait pas la preuve qu'il aurait pu être reclassé. En statuant ainsi, alors qu'il lui appartenait, ainsi qu'il a été dit au point 2, de rechercher si en l'espèce l'autorité administrative aurait pu légalement, si elle n'avait pas illégalement refusé de se prononcer sur la demande d'autorisation de licenciement, autoriser ou rejeter la demande d'autorisation qui lui était soumise, en vérifiant notamment si l'employeur avait sérieusement recherché si l'intéressé pouvait être reclassé, la cour a commis une erreur de droit. Il en résulte que, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, M. A... est fondé à demander l'annulation de l'arrêt attaqué.

5. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros à verser à M. A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

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