Cassation sociale, 23 mars 2022, n° 20-21.717 cassation sociale - Editions Tissot

Jurisprudence sociale

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Cassation sociale, 23 mars 2022, n° 20-21.717

Tenu d'une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé physique et mentale et de la sécurité des travailleurs dans l'entreprise, l'employeur doit en assurer l'effectivité. Si un directeur d'établissement, disposant d'une délégation de pouvoirs en matière d'hygiène et de sécurité, ne respecte pas les règles de protection de la santé et de la sécurité des salariés placés sous sa responsabilité, il commet une faute grave.

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

ZB



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 23 mars 2022




Cassation partielle sans renvoi


Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 355 F-D

Pourvoi n° U 20-21.717




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 23 MARS 2022

La société Indra, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° U 20-21.717 contre l'arrêt rendu le 3 septembre 2020 par la cour d'appel de Grenoble (chambre sociale Section B), dans le litige l'opposant à M. [X] [E], domicilié [Adresse 1], défendeur à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Indra, de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. [E], après débats en l'audience publique du 1er février 2022 où étaient présents Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président et rapporteur, M. Pietton, Mme Le Lay, conseillers, et Mme Aubac, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 3 septembre 2020), M. [E] a été engagé à compter du 2 janvier 2007 par la société A7 Auto pièces, devenue société Indra, en qualité en dernier lieu de directeur d'établissements.

2. Contestant son licenciement notifié le 26 juin 2015, le salarié a saisi la juridiction prud'homale.

Examen des moyens

Sur le premier moyen et sur le second moyen, pris en sa seconde branche, ci-après annexés

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le second moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. L'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner à payer au salarié une somme à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, outre les intérêts au taux légal à compter du 8 septembre 2015, date de la saisine du conseil de prud'hommes, ainsi qu'une somme à titre d'indemnité de procédure, alors «que les créances indemnitaires ne produisent intérêts qu'à compter de la décision les prononçant ; qu'en condamnant la société Indra à payer à M. [E] la somme de 53 680 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, avec intérêts au taux légal à compter du 8 septembre 2015, date de la saisine du conseil de prud'hommes, la cour d'appel a violé l'article 1153 du code civil devenu 1231-6 et l'article 1153-1 du code civil devenu 1231-7.»

Réponse de la Cour

Vu l'article 1153-1 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :

5. Aux termes de ce texte, en toute matière, la condamnation à une indemnité emporte intérêts au taux légal même en l'absence de demande ou de disposition spéciale du jugement. Sauf disposition contraire de la loi, ces intérêts courent à compter du prononcé du jugement à moins que le juge n'en décide autrement. En cas de confirmation pure et simple par le juge d'appel d'une décision allouant une indemnité en réparation d'un dommage, celle-ci porte de plein droit intérêt au taux légal à compter du jugement de première instance. Dans les autres cas, l'indemnité allouée en appel porte intérêt à compter de la décision d'appel. Le juge d'appel peut toujours déroger aux dispositions du présent alinéa.

6. Après avoir condamné l'employeur au paiement de diverses sommes, l'arrêt retient qu'elles porteront intérêts au taux légal à compter du 8 septembre 2015, date de la saisine du conseil de prud'hommes.

7. En statuant ainsi, alors que s'agissant de la créance de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse dont le montant est laissé à l'appréciation des juges du fond, la somme allouée devait porter intérêts à compter de la décision la prononçant, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

8. La cassation à intervenir sur ce point est sans incidence sur la fixation du point de départ des intérêts moratoires assortissant les condamnations à paiement autres que celle se rapportant aux dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

9. Elle est également sans incidence sur les chefs de dispositif de l'arrêt condamnant l'employeur aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de celui-ci et non remises en cause.

10. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

11. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que la condamnation de la société Indra au paiement de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse portera intérêts au taux légal à compter du 8 septembre 2015, date de la saisine du conseil de prud'hommes, l'arrêt rendu le 3 septembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Dit que la condamnation au paiement d'une somme de 53 680 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse portera intérêts au taux légal à compter du 3 septembre 2020, date de la décision la prononçant ;

Condamne M. [E] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois mars deux mille vingt-deux.


le president et rapporteur






Le greffier de chambre MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour la société Indra


PREMIER MOYEN DE CASSATION

III. La société INDRA fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR déclaré sans cause réelle et sérieuse le licenciement pour faute grave de M. [E] notifié le 26 juin 2015 et de l'AVOIR condamnée à payer à M. [E] les sommes de 20.087,28 € bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 2.008,72 € bruts au titre des congés payés afférents, 11.704,18 € à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement, 5.861,52 € bruts à titre de rappel de salaire sur mise à pied conservatoire, outre 586,15 € bruts au titre des congés payés afférents, 53.680 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, outre les intérêts au taux légal à compter du 8 septembre 2015, date de la saisine du conseil de prud'hommes, ainsi que la somme de 2.000 € à titre d'indemnité de procédure ;

1. ALORS QUE pour apprécier si le licenciement est fondé sur une faute grave, le juge est tenu d'examiner l'ensemble des motifs énoncés dans la lettre de licenciement ; qu'en application des articles R. 543-135 et suivants du code de l'environnement et R. 322-9 du code de la route, il est interdit de procéder à la vente de véhicules pour pièces à un opérateur ne disposant pas de l'agrément VHU ; qu'en l'espèce, la lettre de licenciement, qui comportait plusieurs griefs, reprochait à M. [E] à son point 5 des « ventes non conformes de véhicules pour pièces à un centre VHU non agréé » (lettre de licenciement p. 3) ; que ce grief matériellement vérifiable de la lettre de licenciement était développé dans les écritures de la société INDRA (conclusions p. 27 et 28) ; qu'il ressort des constatations de l'arrêt que ces faits étaient matériellement établis, imputables à M. [E] et non prescrits, de sorte que « la preuve d'un manquement non prescrit de M. [E] à la législation applicable en matière de cession de véhicule hors d'usage aux centres agréés VHU est dès lors établie » (arrêt p. 8 § 6) ; qu'en se fondant néanmoins pour écarter ce grief sur le motif impropre tiré de « l'ambiguïté de la position de l'employeur » en ce qu'il a reproché au salarié de ne pas avoir retiré les plaques d'immatriculation et de châssis du véhicule vendu à un centre non agréé VHU (arrêt p. 8), refusant ainsi de tenir compte du grief matériellement vérifiable énoncé dans la lettre de licenciement de « ventes non conformes de véhicules pour pièces à un centre VHU non agréé » dont elle a elle-même constaté la matérialité et relevé qu'il s'agissait d'un manquement non prescrit à la législation applicable, la cour d'appel a violé les articles L. 1232-6, L. 1235-1, L. 1234-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail ;

2. ALORS QU'en application des articles R. 543-153 et suivants du code de l'environnement et R. 322-9 du code de la route, il est interdit de procéder à la vente de véhicules hors d'usage pour pièces à un opérateur ne disposant pas de l'agrément VUH ; que la lettre de licenciement reprochait à M. [E] à son point 5 des « ventes non conformes de véhicules pour pièces à un centre VHU non agréé » (lettre de licenciement p. 3) ; qu'il ressort des propres constatations de l'arrêt que ces faits étaient matériellement établis, imputables à M. [E] et non prescrits, de sorte que « la preuve d'un manquement non prescrit de M. [E] à la législation applicable en matière de cession de véhicule hors d'usage aux centres agréés VHU est dès lors établie » (arrêt p. 8 § 6) ; qu'en écartant néanmoins ce motif de licenciement énoncé dans la lettre de licenciement et dont elle a constaté le bien-fondé, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles L. 1232-6, L. 1235-1, L. 1234-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail, ensemble les articles R. 543-153 et suivants du code de l'environnement et R. 322-9 du code de la route ;

3. ALORS QU'en vertu des dispositions de l'article L. 4121-1 du code du travail, tenu d'une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé physique et mentale et de la sécurité des travailleurs dans l'entreprise, l'employeur doit en assurer l'effectivité ; que constitue une faute grave le fait pour un directeur d'établissement, disposant d'une délégation de pouvoir en matière d'hygiène et de sécurité, de ne pas respecter les règles de protection de la santé et de la sécurité des salariés placés sous sa responsabilité ; qu'en l'espèce, il est reproché à M. [E] au point 9 de la lettre de licenciement de tels manquements aux règles d'hygiène et de sécurité, notamment du fait de sa non-application au sein de l'établissement du port des équipements de protection individuelle (EPI) et de la violation des règles de sécurité en matière d'entrée et de sortie des camions sur le site (lettre de licenciement p. 4 et 5) ; qu'il ressort des propres constatations de l'arrêt que « la visite effectuées par Madame [T] [M], responsable HSE, sur le site A7 du 24 avril 2015 a révélé un certain nombre de difficultés relatives à l'hygiène et à la sécurité, s'agissant notamment du port des EPI, des procédures d'entrée et de sortie des camions et un problème s'agissant de la machine fluides frigo » (arrêt p. 10 § 1) ; que pour écarter ces motifs de licenciement la cour d'appel s'est néanmoins fondée sur le fait que M. [E] avait adressé un courriel à ses subordonnés relatif au port des EPI après cette visite, que la position de l'employeur sur la circulation des camions faisait l'objet de réflexion en interne et que le responsable HSE aurait fait preuve de déloyauté sur ce point vis-à-vis du salarié (arrêt p. 10) ; qu'en statuant par de tels motifs, impropres à occulter les manquements de M. [E] à ses obligations en matière d'hygiène et de sécurité, pour lesquels il disposait d'une délégation régulière, et qui caractérisaient sa faute grave, la cour d'appel a violé les articles L. 1232-6, L. 1235-1, L. 1234-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail ;

4. ALORS QU'il appartient aux juges du fond de rechercher si les motifs de licenciement invoqués dans la lettre de rupture sont caractérisés, en tenant compte des motifs précis et matériellement vérifiables énoncés dans la lettre de licenciement ; que, dans la lettre de licenciement, il était reproché à M.[E] une pratique de détournement de pièces et marchandises de l'entreprise, validée par ce dernier, pratique mise en lumière lors d'un contentieux prud'homal opposant la société à un autre salarié (M [O]) (lettre de licenciement p. 6) ; que ce motif de licenciement était développé dans les conclusions de la société INDRA (voir p.13) ; qu'en écartant la cause réelle et sérieuse du licenciement, sans rechercher si ces griefs énoncés dans la lettre de licenciement tirés de ces pratiques de détournement de pièces et marchandises de l'entreprise validées par M. [E] - pratiques mises en lumière lors d'un contentieux prud'homal opposant la société à un autre salarié (M [O]) - ne justifiaient pas le licenciement de M. [E] pour une faute grave ou tout du moins par une cause réelle et sérieuse, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L.1232-1, L.1232-6, L1235-1, L.1235-3 et L. 1331-1 du code du travail dans leur version applicable au litige.

SECOND MOYEN DE CASSATION

XIII. La société INDRA fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué de l'AVOIR condamnée à payer à M. [E] les sommes de 11.704,18 € à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement et de 53.680 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, outre les intérêts au taux légal à compter du 8 septembre 2015, date de la saisine du Conseil de Prud'hommes, ainsi que la somme de de 2 000 € à titre d'indemnité de procédure ;

1. ALORS QUE les créances indemnitaires ne produisent intérêts qu'à compter de la décision les prononçant ; qu'en condamnant la société INDRA à payer à M. [E] la somme de 53.680 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, avec intérêts au taux légal à compter du 8 septembre 2015, date de la saisine du Conseil de Prud'hommes, la cour d'appel a violé l'article 1153 du code civil devenu 1231-6 et l'article 1153-1 du code civil devenu 1231-7 ;

2. ALORS QUE les créances indemnitaires ne produisent intérêts qu'à compter de la décision les prononçant ; qu'en retenant que les sommes allouées par le jugement déféré au titre de l'indemnité de licenciement portent intérêt au taux légal à compter du 8 septembre 2015, date de la saisine du Conseil de Prud'hommes, le conseil de prud'hommes, la cour d'appel a violé l'article 1153 du code civil devenu 1231-6 et l'article 1153-1 du code civil devenu 1231-7.


Le greffier de chambreECLI:FR:CCASS:2022:SO00355