Jurisprudence sociale
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Cassation sociale, 25 janvier 2023, n° 21-23.395
Si le salarié qui affirme avoir accompli des heures supplémentaires doit apporter des éléments précis pour étayer sa demande, cette exigence ne doit pas pour autant amener à faire peser la charge de la preuve des heures effectuées uniquement sur lui.
RÉPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
OR
COUR DE CASSATION ______________________
Audience publique du 25 janvier 2023
Cassation partielle
Mme CAPITAINE, conseiller doyen faisant fonction de président
Arrêt n° 54 F-D
Pourvoi n° P 21-23.395
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 25 JANVIER 2023
M. [M] [L], domicilié actuellement [Adresse 2], a formé le pourvoi n° P 21-23.395 contre l'arrêt rendu le 19 mai 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 10), dans le litige l'opposant à la société Comptoir fiduciaire de Paris, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Chiron, conseiller référendaire, les observations de la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat de M. [L], de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société Comptoir fiduciaire de Paris, après débats en l'audience publique du 29 novembre 2022 où étaient présents Mme Capitaine, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Chiron, conseiller référendaire rapporteur, Mme Lacquemant, conseiller, M. Juan, avocat général, et Mme Piquot, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 19 mai 2021), M. [L] a été engagé par la société Comptoir fiduciaire de Paris le 7 novembre 2013 en qualité d'agent de clientèle.
2. Par lettre du 5 juillet 2016, la société a licencié le salarié pour faute.
3. M. [L] a saisi la juridiction prud'homale en paiement de diverses sommes au titre de l'exécution et de la rupture du contrat de travail.
Examen des moyens
Sur le second moyen, ci-après annexé
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le premier moyen
Enoncé du moyen
5. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de l'ensemble de ses demandes, alors « qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié ; qu'au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles ; qu'il en résulte qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments ; que le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a retenu qu' ‘'à l'appui de sa demande de paiement d'heures supplémentaires non réglées, M. [L] produit des tableaux de décompte d'heures de travail qu'il a lui-même établis et sur lesquels il indique chaque jour une heure d'arrivée et de départ. Ces tableaux retiennent de façon quasi-systématique pour l'année 2014 une arrivée à 8h et un départ à 18h30 sauf le vendredi pour lequel les horaires sont le plus souvent 9h/17h30. Pour l'année 2015, les heures de départ sont plus variables et comprises entre 17h et 18h30. Ces tableaux sont complétés par des attestations dont le contenu est peu précis quant aux horaires de travail de M. [L]. Les agendas de M. [L], également produits aux débats, ne comportent quasiment pas de mentions antérieures à 9h du matin et postérieures à 18 heures. M. [L] ne formule aucune demande au titre des heures supplémentaires pour l'année 2016. Ces tableaux sont insuffisants à emporter la conviction de la cour sur la réalisation par M. [L] d'heures supplémentaires'‘ ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel, dont les constatations mettaient en évidence que le salarié présentait des éléments suffisamment précis pour permettre à l'employeur de répondre et que ce dernier ne produisait aucun élément de contrôle de la durée du travail, qui a fait peser la charge de la preuve sur le seul salarié, a violé l'article L. 3171-4 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 3171-4 du code du travail :
6. Aux termes de l'article L. 3171-2, alinéa 1er, du code du travail, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l'employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés. Selon l'article L. 3171-3 du même code, l'employeur tient à la disposition des membres compétents de l'inspection du travail les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié. La nature des documents et la durée pendant laquelle ils sont tenus à disposition sont déterminées par voie réglementaire.
7. En outre, selon l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.
8. Il résulte de ces dispositions qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.
9. Pour débouter le salarié de sa demande au titre des heures supplémentaires, l'arrêt, après avoir relevé que le salarié produisait des tableaux de décompte d'heures de travail qu'il avait lui-même établis et sur lesquels il indiquait chaque jour une heure d'arrivée et de départ, complétés par des attestations dont le contenu était peu précis quant aux horaires de travail, ainsi que des agendas ne comportant quasiment pas de mentions antérieures à 9h du matin et postérieures à 18 heures, retient que ces tableaux sont insuffisants à emporter la conviction de la cour sur la réalisation d'heures supplémentaires.
10. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que le salarié présentait des éléments suffisamment précis pour permettre à l'employeur de répondre, la cour d'appel, qui a fait peser la charge de la preuve sur le seul salarié, a violé le texte susvisé.
Portée et conséquence de la cassation
11. Le premier moyen ne formulant aucune critique contre les motifs de l'arrêt fondant la décision de débouter le salarié de ses demandes en paiement de dommages-intérêts pour absence de cause réelle et sérieuse de licenciement et de dommages-intérêts pour préjudice moral, la cassation ne peut s'étendre à ces dispositions de l'arrêt qui ne sont pas dans un lien de dépendance nécessaire avec les dispositions de l'arrêt critiquées par ce moyen.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il rejette les demandes de M. [L] en paiement des sommes de 50 264,60 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, et 10 000 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral, et aux fins de remise d'un certificat de travail conforme à la décision à intervenir sous astreinte journalière de 100 euros par document, l'arrêt rendu le 19 mai 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Condamne la société Comptoir fiduciaire de Paris aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Comptoir fiduciaire de Paris et la condamne à payer à M. [L] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq janvier deux mille vingt-trois. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat aux Conseils, pour M. [L]
PREMIER MOYEN DE CASSATION
[Sur les heures supplémentaires]
M. [L] fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir débouté de l'ensemble de ses demandes ;
Alors qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié ; qu'au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles ; qu'il en résulte qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments ; que le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a retenu qu'« à l'appui de sa demande de paiement d'heures supplémentaires non réglées, M. [L] produit des tableaux de décompte d'heures de travail qu'il a lui-même établis et sur lesquels il indique chaque jour une heure d'arrivée et de départ. Ces tableaux retiennent de façon quasi-systématique pour l'année 2014 une arrivée à 8h et un départ à 18h30 sauf le vendredi pour lequel les horaires sont le plus souvent 9h/17h30. Pour l'année 2015, les heures de départ sont plus variables et comprises entre 17h et 18h30. Ces tableaux sont complétés par des attestations dont le contenu est peu précis quant aux horaires de travail de M. [L]. Les agendas de M. [L], également produits aux débats, ne comportent quasiment pas de mentions antérieures à 9h du matin et postérieures à 18 heures. M. [L] ne formule aucune demande au titre des heures supplémentaires pour l'année 2016. Ces tableaux sont insuffisants à emporter la conviction de la cour sur la réalisation par M. [L] d'heures supplémentaires » ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel, dont les constatations mettaient en évidence que le salarié présentait des éléments suffisamment précis pour permettre à l'employeur de répondre et que ce dernier ne produisait aucun élément de contrôle de la durée du travail, qui a fait peser la charge de la preuve sur le seul salarié, a violé l'article L. 3171-4 du code du travail.
SECOND MOYEN DE CASSATION
[Sur le licenciement]
M. [L] fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir débouté de l'ensemble de ses demandes ;
Alors 1) que la baisse de résultats ne peut justifier un licenciement que si cette baisse procède d'une insuffisance professionnelle ou d'une faute imputable au salarié ; que par ailleurs, la lettre de licenciement fixe les termes du litige ; qu'en l'espèce, la lettre de licenciement fixant les termes du litige a notifié la rupture « pour faute » ; qu'en retenant que « les griefs visés par la lettre de licenciement sont établis », sans avoir caractérisé de faute imputable à M. [L], la cour d'appel a violé ensemble les articles L. 1232-6, L. 1235-3 du code du travail ;
Alors 2) et en tout état de cause que la seule insuffisance de résultats ne peut, en soi, constituer une cause de licenciement ; qu'en retenant que « les griefs visés par la lettre de licenciement sont établis », sans avoir caractérisé d'insuffisance professionnelle à l'origine de la baisse de résultats reprochée à M. [L], ce qui s'imposait d'autant plus que l'employeur se focalisait sur le seul mois de mai 2016, pendant lequel le salarié avait d'ailleurs été en congés une semaine, et que les résultats des autres salariés étaient comparables, la cour d'appel a violé ensemble les articles L. 1232-6, L. 1235-3 du code du travail.ECLI:FR:CCASS:2023:SO00054
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