Cour de cassation
chambre criminelle
Audience publique du mardi 4 juin 2002
N° de pourvoi: 01-81693
Non publié au bulletin Cassation
Président : M. COTTE, président
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le quatre juin deux mille deux, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller BLONDET, les observations de la société civile professionnelle BACHELLIER et POTIER de la VARDE, et de la société civile professionnelle LYON-CAEN, FABIANI et THIRIEZ, avocats en la Cour, et les conclusions de Mme l'avocat général COMMARET ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- X... Stéphane, partie civile,
contre l'arrêt de la cour d'appel d'AGEN, chambre correctionnelle, en date du 22 janvier 2001, qui l'a débouté de ses demandes après avoir relaxé Michèle Y..., épouse Z..., du chef de blessures involontaires ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 222-19 du Code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a renvoyé Michèle Z... des fins de la poursuite exercée contre elle du chef de blessures involontaires ;
"aux motifs qu'il est constant que Michèle Z... n'a pas causé directement le dommage dont son salarié a été victime ;
qu'ainsi seule son éventuelle responsabilité indirecte peut être recherchée ; certes, l'arrêté du 30 juillet 1974 applicable en matière de sécurité aux chariots automoteurs n'a pas été respecté, Stéphane X... n'ayant pas subi le double examen prévu par celui-ci ; que cependant, il est démontré que Stéphane X... a utilisé un chariot de sa propre initiative puisque Philippe A..., responsable du service contrôle à la société Ecowatt, a précisé qu'il n'avait jamais été demandé à Stéphane X... de se servir du chariot élévateur afin de déplacer la scie et que Jean-Michel B..., ancien employé de ladite société en qualité de chef d'équipe et responsable de la maintenance, a attesté qu'il était seul responsable du matériel et, en particulier, que ce matériel ne pouvait être déplacé avec chariot élévateur que par lui-même et sans son contrôle et qu'il n'avait pas donné d'ordre à Stéphane X... pour déplacer cette scie ; qu'en tout état de cause, il n'est pas prouvé que si Stéphane X... avait été titulaire d'une autorisation de conduite de chariot élévateur, l'accident ne se serait pas produit alors qu'il avait l'habitude d'utiliser ledit chariot depuis plusieurs années ; qu'ainsi, la preuve n'est pas rapportée que l'omission par la prévenue d'avoir fait subir à Stéphane X... les examens dont s'agit a créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ; qu'il n'est pas davantage établi que Michèle Z... ait, de façon délibérée, choisi de ne pas respecter cette obligation d'examens ; qu'enfin il ne résulte pas des éléments de la cause qu'elle ait commis une faute caractérisée exposant son salarié à un risque d'une particulière gravité qu'elle ne pouvait ignorer alors que l'accident dont Stéphane X... a été victime résulte d'une utilisation pour le moins inhabituelle du
chariot élévateur au regard de la nature et du poids du matériel transporté ;
"1 ) alors qu'en affirmant que la prévenue n'avait pu avoir conscience d'exposer Stéphane X... à un risque d'une particulière gravité en s'abstenant de lui faire subir les examens prescrits par l'arrêté du 30 juillet 1974 afin d'assurer la sécurité des travailleurs utilisateurs de chariots, tout en constatant que la victime utilisait des chariots élévateurs depuis plusieurs années, ce dont il résultait que l'utilisation de ce type de machine rentrait dans les attributions habituelles de ce salarié de sorte que l'employeur ne pouvait ignorer qu'il exposait celui-ci à un danger d'une particulière gravité en le laissant utiliser ce matériel sans lui avoir délivré la formation prescrite par l'arrêté précité, peu important que le jour de l'accident, la victime n'ait pas spécialement reçu l'ordre de s'en servir, la cour d'appel s'est contredite ;
"2 ) alors que la faute du salarié consistant à faire de la machine un usage non conforme à sa destination ne peut exonérer l'employeur de sa responsabilité pénale que si elle a été la cause exclusive du dommage ; que, dès lors, à supposer que Stéphane X... ait commis une imprudence en utilisant le chariot élévateur pour déplacer une scie à ruban eu égard à la nature et au poids de ce matériel, la cour d'appel ne pouvait se fonder sur cette circonstance pour exclure la responsabilité de l'employeur sans rechercher si cette prétendue imprudence n'avait pas été elle-même rendue possible par l'absence de formation de la victime à l'utilisation de cette machine" ;
Vu l'article 593 du Code de procédure pénale, ensemble les articles 121-3 et 222-19 du Code pénal ;
Attendu que tout jugement ou arrêt doit être motivé ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que Stéphane X..., ouvrier d'entretien employé par la société Ecowatt, a, au cours d'une opération de transport qu'il exécutait avec un chariot élévateur, été blessé à la jambe gauche par la chute de la scie à rubans de 920 kg qu'il essayait de stabiliser sur les fourches de l'engin ; qu'il a cité Michèle Z..., gérante de la société, devant le tribunal correctionnel pour blessures involontaires ayant entraîné plus de trois mois d'incapacité totale de travail ;
Attendu que, pour renvoyer Michèle Z... des fins de la poursuite et débouter la partie civile de ses demandes, l'arrêt infirmatif attaqué, après avoir relevé que Stéphane X... utilisait habituellement le chariot élévateur dans l'exercice de ses fonctions de réception de la marchandise sans avoir subi l'examen d'aptitude à la conduite des chariots automoteurs prescrit par l'arrêté du 30 juillet 1974, énonce qu'il n'est pas établi que la gérante de la société, qui n'a pas causé directement le dommage et avait autorisé la victime à conduire cet engin par note de service, ait délibérément violé l'obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par ledit arrêté ; que les juges ajoutent que Stéphane X... ayant pris seul l'initiative du déplacement de la scie à rubans avec ce chariot, alors que ce type de matériel ne pouvait être déplacé que par le chef d'équipe responsable de la maintenance ou sous son contrôle, il n'est pas possible d'établir à la charge de la prévenue une faute caractérisée et qui exposait l'employé à un risque d'une particulière gravité ;
Mais attendu qu'en se déterminant ainsi, la cour d'appel, qui s'est contredite en retenant tout à la fois que la prévenue avait autorisé Stéphane X... à conduire les chariots élévateurs sans qu'il ait suivi la formation et passé l'examen d'aptitude obligatoires en vertu de l'arrêté du 30 juillet 1974, et qu'elle n'avait pas violé de façon manifestement délibéré l'obligation de prudence et de sécurité prévue par ce texte et qui a exclu par des motifs hypothétiques toute incidence de cette absence de formation de la victime sur la survenance de l'accident, n'a pas justifié sa décision ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE, en ses seules dispositions civiles, l'arrêt de la cour d'appel d'Agen, en date du 22 janvier 2001, toutes autres dispositions étant expressément maintenues, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Bordeaux, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel d'Agen, sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Cotte président, M. Blondet conseiller rapporteur, MM. Roman, Palisse, Le Corroller, Béraudo conseillers de la chambre, Mmes Agostini, Beaudonnet, Gailly conseillers référendaires ;
Avocat général : Mme Commaret ;
Greffier de chambre : Mme Daudé ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.