Cassation sociale, 24 janvier 2006, n° 03-44.889 cassation sociale - Editions Tissot

Jurisprudence sociale

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Cassation sociale, 24 janvier 2006, n° 03-44.889

Il n’est pas nécessaire, pour caractériser le harcèlement, que les agissements interviennent à des intervalles rapprochés. Ainsi, constituent des faits de harcèlement moral, les critiques systématiques des compétences et du travail de l’intéressée aux fins de l’isoler du reste de la communauté de travail.

Cour de cassation
chambre sociale
Audience publique du mardi 24 janvier 2006
N° de pourvoi: 03-44889
Non publié au bulletin Rejet

Président : M. BAILLY conseiller, président


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :


Attendu que Mme X..., engagée le 28 septembre 1989 par la société Telesystème, aux droits de laquelle se trouve la société Schlumberger Sema et titulaire à compter de 1992 de mandats syndicaux, s'estimant victime de discrimination, a saisi la juridiction prud'homale ;

Sur le premier moyen :

Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt attaqué (Toulouse,16 mai 2003) d'avoir dit que la salariée avait été victime de mesures discriminatoires en raison de son activité syndicale, qu'elle devait bénéficier depuis le 1er juillet 2001 de la position II-3 coefficient 150 de la convention collective, et d'avoir condamné l'employeur à lui verser diverses sommes en réparation de son préjudice matériel et moral, alors, selon le moyen :

1 ) que la rémunération des salariés peut varier en fonction des performances et des qualités personnelles de chacun appréciées par l'employeur au regard notamment des entretiens annuels d'évaluation ;

qu'en l'espèce, la société Sema produisait l'ensemble des entretiens annuels d'évaluation de Mme X... faisant état d'un manque de confiance en soi, de performances médiocres sur des dossiers et missions précises ; qu'en affirmant néanmoins que l'employeur ne pouvait se fonder sur ces appréciations, dès lors que "la notion de mérite est par principe étrangère aux accords et conventions de travail, en ce qu'elle institue à la faveur de l'employeur une faculté purement potestative contraire à la règle de non-discrimination au travail, laquelle ne peut reposer que sur des conditions objectives", la cour d'appel a violé la règle "à travail égal salaire égal" et l'article L. 133-5-4 du Code du travail ;

2 ) qu'en cas de différend sur la catégorie professionnelle qui doit être attribuée à un salarié, les juges doivent rechercher la nature de l'emploi effectivement occupé par le salarié et la qualité qu'il requiert ;

qu'en l'espèce, la société Sema soulignait que Mme X... n'exerçait nullement des fonctions d'encadrement et n'a été titulaire du diplôme d'ingénieur qu'à compter du 7 juillet 1998, si bien qu'elle ne pouvait bénéficier du statut cadre position 2-1 avant cette date ; qu'en affirmant néanmoins le contraire, sans rechercher quelle était la nature et l'emploi effectivement occupé par Mme X..., la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de la règle "à travail égal salaire égal" et de l'article L. 133-5-4 du Code du travail ;

3 ) qu'aux termes de lannexe II relative à la classification des ingénieurs et des cadres de la convention collective Syntec, la position 2-1 n'est attribuée qu'aux ingénieurs titulaires du diplôme de sortie des écoles visées dans la définition des ingénieurs à l'article 2c, ou bien à des cadres ayant au moins deux ans de pratiques de la profession, disposant des qualités intellectuelles et humaines leur permettant de se mettre rapidement au courant des travaux d'études ; qu'en l'espèce, il résulte des termes de l'arrêt que Mme X... n'a été titulaire du diplôme d'ingénieur qu'à compter du 7 juillet 1998 ; qu'en affirmant néanmoins que la société Selma aurait du la considérer comme un ingénieur dès le 5 juin 1996, dès lors qu'elle savait qu'à cette date elle remplissait toutes les conditions relatives à l'obtention de ce diplôme, la cour d appel a violé l'annexe II relative à la classification des ingénieurs et des cadres de la convention collective Syntec ;

4 ) que les juges sont tenus de répondre aux conclusions des parties ; qu'en l'espèce, la société Sema indiquait que pour établir une discrimination salariale, l'expert s'était fondé sur la moyenne de l'ensemble des salariés de la société, au lieu de ne se fonder que sur la moyenne des salariés du site de Blagnac relevant de la même position et du même coefficient ; qu'elle développait que la moyenne nationale ne permettait pas une comparaison avec la rémunération perçue par Mme X... dès lors qu'elle comprenait la moyenne de la région parisienne, plus élevée que la moyenne, quand il résultait en revanche d'une comparaison de la rémunération perçue par Mme X... avec la moyenne des salaires du site de Blagnac que celle-ci n'avait subi aucune discrimination ; qu'en s'abstenant de répondre à ce moyen, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

5 ) que la contradiction de motifs équivaut à une absence de motifs ; qu'en l'espèce, il résulte des termes de l'arrêt que Mme X... a accédé à des fonctions syndicales dès 1992 ; qu'en affirmant néanmoins, pour établir une prétendue discrimination syndicale, que Mme X... s'était vue notifier des décisions d'ajournement de toute augmentation "en 1994 et en 1995, c'est-à-dire concomitamment à l'accession aux fonctions syndicales", la cour d'appel a entaché sa décision d'une contradiction de motifs et a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

6 ) que les juges doivent répondre aux conclusions des parties et examiner les pièces produites au soutien de leur moyen ; qu'en l'espèce, la société Sema établissait, documents à l'appui, qu'elle avait donné son plein accord pour que Mme X... puisse bénéficier d'un congé individuel de formation et avait maintenu sa rémunération durant ce congé, et qu'elle l'avait fait bénéficier de nombreuses formations, dont des cours d'anglais; qu'elle précisait qu'il ressortait d'un procès verbal de délégués du personnel du 5 juillet 1996 que les formations dispensées par la société Sema étaient essentiellement techniques ; qu'en affirmant péremptoirement que les diverses demandes de formation de Mme X... n'avaient pas été satisfaites, et qu'elle n'aurait bénéficié que de formations techniques quand ses collègues auraient bénéficié de formations d'envergure, sans nullement examiner les pièces produites par la société Sema, la cour d'appel a derechef violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu que la cour d'appel, après avoir fait ressortir que l'intéressée remplissait dès 1996 les conditions permettant d'accéder à la position 2-1 de la convention collective, a constaté qu'elle avait connu un retard important de promotion par rapport à d'autres salariés de même catégorie et d'ancienneté comparable, et que sa rémunération avait évolué beaucoup moins vite que la moyenne de sa catégorie ;

qu'ayant relevé que l'employeur n'établissait pas que cette différence de traitement était justifiée par des éléments objectifs, elle a, abstraction faite du motif surabondant critiqué par la première branche du moyen, légalement justifié sa décision ;

Que le moyen n'est pas fondé ;

Et sur le second moyen :

Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt d'avoir condamné l'employeur à payer à la salariée une certaine somme pour harcèlement moral, et une somme sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, alors, selon le moyen :

1 ) que la cassation à intervenir des dispositions de l'arrêt condamnant la société Sema à payer à Mme X... diverses sommes au titre de la discrimination syndicale entraînera l'annulation de ce chef de dispositif, en application de l'article du nouveau Code de procédure civile ;

2 ) qu'en vertu du principe de réparation intégrale nul ne peut être indemnisé deux fois pour le même préjudice ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a accordé la somme de 15 250 euros à Mme X... en réparation du préjudice moral subi du fait de la discrimination syndicale dont elle aurait fait l'objet ; que pour fonder cette discrimination syndicale, la cour d'appel a notamment relevé qu'elle aurait été l'objet d'entretiens annuels systématiquement hostiles, et qu'elle s'était vue refuser la reconnaissance de sa compétence et de sa formation au CNAM ; qu'en accordant également la somme de 15 250 euros au titre du harcèlement moral, eu égard aux entretiens annuels systématiquement hostiles, et au refus de la reconnaissance de ses compétences, la cour d'appel a indemnisé deux fois le même préjudice, en violation de l'article 1382 du Code civil ;

3 ) que les juges sont tenus de répondre aux conclusions des parties et d'examiner les documents produits à leur soutien ; qu'en l'espèce, la société Sema développait que Mme X... avait été placée dans une situation d'inter-contrat, comme tous les salariés affectés comme elle à des missions déterminées, ainsi qu'en témoignait notamment le procès verbal des délégués du personnel du 5 juillet 1996 ;

qu'en s'abstenant d'examiner cette pièce et de rechercher ainsi qu'elle y était invitée si Mme X... n"'avait pas été placée dans une position identique à celle de ses collègues, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

4 ) que le harcèlement moral est caractérisé par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ; que le fait pour l'employeur de juger défavorablement le salarié lors d'entretiens annuels d'évaluation, au vu de la prestation de travail effectivement fournie par ce dernier, et de maintenir ce jugement devant la juridiction prud'homale ne saurait caractériser le harcèlement moral ; qu'en affirmant le contraire, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 122-49 du Code du travail ;

Mais attendu que la cour d'appel a constaté que l'employeur critiquait systématiquement les compétences et le travail de l'intéressée qu'il privait régulièrement et pour des périodes prolongées d'affectation précise, aux fins de l'isoler du reste de la communauté de travail, et a relevé que ces faits répétés, distincts de ceux retenus au titre de la discrimination, avaient entraîné une altération de sa santé psychologique qui constituait un préjudice propre ; qu'elle a ainsi légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Schlumberger Sema aux dépens ;

Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne la société Schlumberger Sema à payer à Mme X... la somme de 1 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-quatre janvier deux mille six.

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