Cassation criminelle, 3 juin 1986, n° 84-94.424 cassation sociale - Editions Tissot

Jurisprudence sociale

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Cassation criminelle, 3 juin 1986, n° 84-94.424


COUR DE CASSATION, Chambre criminelle
Audience publique du 3 juin 1986
Mr BERTHIAU conseiller le plus ancien faisant fonction de président
N° 84.94.424
 
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique, tenue au Palais de Justice, à PARIS, le trois juin mil neuf cent quatre vingt six, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de Mr le conseiller référendaire SAINTE-ROSE, les observations de la Société civile professionnelle NICOLAS, MASSE-DESSEN et GEORGES et de Me CELICE, avocats en la Cour, et les conclusions de Mr l'avocat général DONTENWILLE ;
Statuant sur les pourvois formés par :
 
    1o -  LA CONFEDERATION FRANCAISE DEMOCRATIQUE DU TRAVAIL, SYNDICAT DE LA METALLURGIE DE LA REGION MONTPELLIERAINE,
    2o -  ARFELIX Jean-Claude,
    - parties civiles -
    contre un arrêt de la Cour d'appel de MONTPELLIER, Chambre correctionnelle, en date du 28 mai 1984, qui, après relaxe de LEMONNIER Jacques et de NOUEL Emile, des préventions d'entraves au fonctionnement régulier du comité d'établissement et à l'exercice du droit syndical, a débouté les parties civiles précitées de leurs demandes de réparations ;
 
 
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Attendu qu'il appert de l'arrêt attaqué et du jugement dont il adopte les motifs qu'en juillet 1982, ARFELIX, employé à l'usine implantée à MONTPELLIER par la Compagnie I.B.M. FRANCE et représentant syndical auprès du comité d'établissement, et le syndicat C.F.D.T. de la métallurgie ont assigné devant la juridiction répressive LEMONNIER, président-directeur général d'I.B.M. FRANCE, et NOUEL, directeur de l'usine locale, sous les préventions d'entraves au fonctionnement régulier du comité d'établissement et à l'exercice du droit syndical, leur reprochant d'avoir, dans les premiers mois de l'année 1982, fait opérer des retenues sur les salaires d'ARFELIX qui, en raison des circonstances exceptionnelles résultant des réformes proposées et progressivement mises en place par le Ministre du travail, avait, en plusieurs occasions, dépassé le temps de délégation dont il disposait pour l'accomplissement de sa mission syndicale ; que la Cour d'appel, confirmant la décision des premiers juges, a prononcé la relaxe des prévenus et débouté les parties civiles de leurs demandes de dommages-intérêts ;
En cet état :
Sur le second moyen de cassation
pris de la violation des articles L. 434-1, L 463-1 et L. 461-2 du Code du travail, dans leur rédaction telle qu'applicable aux faits de l'espèce, de l'article 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et de réponse à conclusions, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a mis hors de cause le prévenu LEMONNIER, président-directeur général de la Société Compagnie I.B.M. FRANCE ;
"aux motifs que la délégation de pouvoir consentie au profit de NOUEL, qui se manifestait quotidiennement au plan local, dans le cadre des attributions de ce dernier, n'était pas contestée ; que celui-ci bénéficiait de l'autorité, des moyens et de la compétence nécessaires, avait pouvoir de conduire le dialogue avec les partenaires sociaux, de présider le comité d'établissement, de gérer et administrer le personnel qui faisait partie de l'usine et qui lui était hiérarchiquement rattaché ; que la décision concernant les retenues sur salaires dénoncées avait été prise à l'échelon local sans qu'il soit péremptoirement établi que LEMONNIER y ait participé, d'autant qu'elles étaient fonction d'un contrôle a posteriori audit échelon de l'utilisation du crédit d'heures de chacun des délégués ; que la lettre du directeur LOUP du 26 mars 1982 en réponse à une correspondance de la section C.F.D.T. de MONTPELLIER du 22 février 1982 ne révélait nullement une intervention personnelle de LEMONNIER dans les faits dénoncés, et ne contenait aucun élément susceptible d'engager sa responsabilité pénale ;
"alors qu'il n'a pas été répondu, ce faisant, au chef des conclusions des parties civiles demanderesses selon lesquelles, en cette matière, LEMONNIER été déjà intervenu personnellement à plusieurs reprises, ses réponses, par l'intermédiaire du directeur des relations humaines, traitant directement du fond du problème, sans aucunement renvoyer le représentant du personnel qui l'avait saisi à l'échelon local, aucunement mentionné dans ses diverses correspondances, même par référence à la délégation de pouvoir ultérieurement alléguée, ce qui caractérisait et le caractère éminemment centralisé au sommet des relations avec les représentants du personnel, et la participation personnelle de LEMONNIER en cette matière ;
"alors, surtout, que la délégation de pouvoir consentie au chef de l'établissement de MONTPELLIER ne dispensait pas le président-directeur général de la Société de toute obligation ; que les parties civiles demanderesses, dans leurs conclusions, soulignaient que LEMONNIER avait eu, à tout le moins et nécessairement, connaissance des faits reprochés, en ayant été saisi directement par le syndicat demandeur de sorte que son omission, à cet égard, était fautive;
"alors, enfin, que la Cour d'appel ne pouvait sans contredire les termes mêmes de la lettre du 26 mars 1982 écrite par le directeur des relations humaines à la demande du prévenu, affirmer qu'elle ne révélait nullement une intervention personnelle de celui-ci dans les faits dénoncés et ne contenait aucun élément susceptible d'engager sa responsabilité pénale, dès lors qu'il en résultait que la demande du syndicat demandeur était bien parvenue au prévenu qui avait demandé à l'auteur de cette lettre d'y répondre lequel repoussait cette demande pour des raisons de fond" ;
Attendu que, pour mettre LEMONNIER hors de cause, les juges du fond énoncent que les retenues de salaires ont été opérées, à l'échelon local, à la suite d'un contrôle, effectué a posteriori, de l'utilisation de leur crédit d'heures par chacun des représentants du personnel ; qu'il n'est pas établi que le prévenu soit personnellement intervenu ; que la compagnie I.B.M. FRANCE, qui emploie 20.000 salariés, comporte quatorze établissements régionaux dirigés par des responsables et pourvus, chacun, d'un comité d'établissement ;
Attendu que les juges constatent que NOUEL, directeur de l'usine de MONTPELLIER, avait notamment pour mission de conduire le dialogue avec les partenaires sociaux, de présider le comité d'établissement, de gérer et d'administrer le personnel de l'usine qui compte 2.300 salariés, lesquels lui étaient hiérarchiquement rattachés ; qu'il disposait, pour l'exercice de ses fonctions, de l'autorité, de la compétence et des moyens nécessaires et qu'il ne conteste nullement l'existence de la délégation de pouvoirs dont il était titulaire ;
Attendu qu'il est encore précisé à l'arrêt que la plupart des réclamations et interventions de la C.F.D.T. ont été effectuées à MONTPELLIER ; que la lettre du directeur des relations humaines invoquée par les parties civiles, constitue seulement une réponse à une correspondance de la section locale de la C.F.D.T. et ne remet nullement en cause les pouvoirs de NOUEL ; qu'elle ne démontre pas que le président d'I.B.M. ait participé aux faits dénoncés et n'apporte aucun élément susceptible d'engager sa responsabilité pénale ;
Attendu qu'en l'état de ces motifs, exempts d'insuffisance et de contradiction, la Cour d'appel a justifié sa décision par une appréciation souveraine des circonstances de la cause ; que, contrairement à ce qui est allégué au moyen, elle n'était pas tenue de répondre aux arguments développés par les parties civiles dans une note en délibéré, n'ayant pas le caractère de conclusions, dont elle avait été saisie postérieurement aux débats et qu'elle a expressément écartée ; qu'enfin c'est sans erreur qu'elle a estimé que la lettre litigieuse précitée, produite par les demandeurs au soutien de leur pourvoi, avait une portée générale et n'impliquait aucune intervention du prévenu dans la mesure prise à l'égard du représentant syndical ;
D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;
SUR LE PREMIER MOYEN DE CASSATION
pris de la violation des articles L. 434-1, L. 463-1 et L. 461-2 dans leur rédaction applicable aux faits de l'espèce, de l'article 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et défaut de réponse à conclusions ;
"en ce que l'arrêt attaqué a renvoyé NOUEL des fins de la poursuite fondée sur les entraves apportées au fonctionnement régulier du comité d'établissement et à l'exercice du droit syndical constituées par les retenues opérées sur le salaire du demandeur, représentant syndical auprès du comité d'entreprise, en raison des dépassements du temps de délégation qui lui est imparti par la loi ;
"aux motifs que, d'une part, les parties civiles ne rapportaient pas la preuve que les nombreuses réformes intervenues depuis le mois de septembre 1981, en matière de droit du travail, caractérisaient les circonstances exceptionnelles visées à l'article L. 434-1 du Code du travail ;
"alors que ce motif n'apporte pas de réponse au chef des conclusions des demandeurs selon lesquelles le nombre et la portée desdites réformes étaient exceptionnels de telle sorte que la direction de la société elle-même avait mis un groupe de travail en place pour les assimiler et maîtriser rapidement et que la fréquence des réunions du comité d'établissement révélait l'effervescence sociale exceptionnelle qui régnait alors ;
"alors, surtout, qu'il n'a pas été répondu davantage au chef des conclusions des demandeurs selon lesquelles le caractère exceptionnel des circonstances justifiant les dépassements du temps légal de délégation résultait encore de la tenue d'assises régionales d'un colloque national "recherche et technologie", des projets de réduction du temps de travail, de la conclusion de contrats de solidarité, notamment discutés au conseil d'établissement de MONTPELLIER, ayant réglé le mouvement de départ et d'entrée dans l'entreprise de 2.500 personnes en douze mois ;
"aux motifs que, d'autre part, à supposer ces circonstances établies, il convenait de relever que le demandeur avait soutenu dans ses écritures que le dépassement du crédit d'heures ayant fait l'objet des retenues litigieuses était constitué par des heures utilisées les 28 et 29 janvier et 30 mars 1982 ; que l'examen des relevés de temps de délégation établis par le demandeur et contresignés par son chef de service permettait de noter que le 28 janvier il n'avait pris aucun temps de délégation, que le 29 janvier et le 30 mars le temps qu'il avait passé aux séances plénières du comité d'établissement n'avait pas été imputé sur son temps de délégation ; qu'il est vrai que le syndicat demandeur soulignait, dans ses conclusions, qu'il n'avait pas effectué ces heures de délégation aux dates ci-dessus indiquées mais que c'était la comptabilité d'I.B.M. qui avait affecté les retenues sur salaires à ces dates ; qu'aucune précision n'avait été apportée par les parties civiles sur les dates auxquelles ces heures auraient été effectuées, de sorte qu'en l'état, dans le cadre d'une poursuite qui aurait pu être fondée en son principe, toute vérification se serait avérée impossible ;
"alors qu'il était constant, en l'espèce, que des retenues avaient été opérées sur le salaire du demandeur, à raison d'heures de délégation effectuées en sus de son crédit légal, seul étant contesté le caractère exceptionnel des circonstances justifiant ces dépassements ; que, par suite, la Cour d'appel, en se fondant sur une prétendue impossibilité de vérification des dates auxquelles ces heures auraient été effectuées, n'a pas légalement justifié sa décision ;
"alors, surtout, qu'après avoir constaté que le demandeur avait produit l'examen des relevés des temps de délégation, établis par lui-même et contresignés par son chef de service, et reconnu que la comptabilité de la société avait effectué des retenues de salaires à des dates auxquelles le demandeur n'avait pas pris d'heures de délégation, la Cour d'appel ne pouvait imputer aux parties civiles demanderesses la charge de la preuve des dates auxquelles ces heures avaient été effectuées sans renverser la charge de la preuve" ;
Attendu que, pour déclarer non établies à la charge de NOUEL les préventions d'entraves au fonctionnement du comité d'établissement et à l'exercice du droit syndical, et débouter les parties civiles de leurs demandes de réparations, la Cour d'appel énonce qu'ainsi que l'a pertinemment rappelé le tribunal, lorsque des représentants du personnel prétendent justifier d'un dépassement de leur crédit d'heures par l'existence des circonstances exceptionnelles prévues par l'article L.434-1 du Code du travail, il leur appartient d'en démontrer l'existence ; que, pour que ces circonstances soient reconnues, il faut qu'elles constituent une activité inhabituelle, nécessitant, de la part desdits représentants, un surcroît de démarches et d'activité débordant le cadre de leurs tâches coutumières, en raison, notamment, de la soudaineté de l'événement ou de l'urgence des mesures à prendre ; qu'en l'état, les parties civiles ne rapportent pas la preuve que les nombreuses réformes intervenues depuis septembre 1981 en matière de droit du travail, caractérisent les circonstances exceptionnelles visées par l'article L.434-1 précité ;
Attendu que les juges constatent, en outre, que les parties civiles n'ont apporté aucune précision sur les dates auxquelles les heures excédentaires auraient été employées par le représentant syndical ; qu'ils en déduisent que, même si la poursuite était fondée dans son principe, toute vérification se serait avérée impossible, compte tenu de l'inexactitude des renseignements fournis ;
Attendu qu'en l'état de ces motifs, la Cour d'appel, qui n'était pas tenue de répondre au détail de l'argumentation des parties civiles, a justifié sa décision fondée sur une appréciation souveraine des éléments de la cause soumis à la libre discussion des parties ; que c'est sans erreur de droit qu'elle a estimé que la mise en place, à l'échelon national, de réformes touchant au droit du travail ne pouvait constituer, pour le représentant syndical d'un établissement déterminé, une circonstance exceptionnelle au sens de l'article L.434-1 du Code du travail ; qu'enfin, contrairement à ce qui est allégué au moyen, il appartenait au salarié concerné de justifier de l'utilisation des heures excédentaires dont il réclamait le paiement ; qu'ainsi les juges n'ont nullement inversé la charge de la preuve ;
D'où il suit que le moyen ne peut qu'être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
 
REJETTE
LES POURVOIS
Condamne les demandeurs aux dépens ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, Chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Où étaient présents : Mr BERTHIAU conseiller le plus ancien faisant fonctions de président en remplacement du président empêché, Mr SAINTE-ROSE conseiller référendaire rapporteur, MMr CRUVELLIE, ZAMBEAUX, DARDEL, GONDRE conseillers de la chambre, Mr LOUISE, Mmes GUIRIMAND, BREGEON conseillers référendaires, Mr DONTENWILLE avocat général, Mme MAZARD greffier de chambre ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.