Cour de cassation chambre sociale Audience publique du mardi 14 février 1995 N° de pourvoi: 93-43.898 Non publié au bulletin Cassation partielle
Président : M. WAQUET conseiller, président
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant : Sur le pourvoi formé par M. Daniel X..., demeurant rue du Clos à Saint-Philibert (Côte-d'Or), en cassation d'un arrêt rendu le 2 juin 1993 par la cour d'appel de Dijon (chambre sociale), au profit de la société anonyme Puma, dont le siège est ... (Doubs), défenderesse à la cassation ; La société Puma a formé un pourvoi incident contre le même arrêt. LA COUR, composée selon l'article L. 131-6, alinéa 2, du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 4 janvier 1995, où étaient présents : M. Waquet, conseiller le plus ancien faisant fonctions de président, Mme Ridé, conseiller rapporteur, MM. Ferrieu, Desjardins, conseillers, Mlle Sant, conseiller référendaire, M. Kessous, avocat général, M. Richard, greffier de chambre ; Sur le rapport de Mme le conseiller Ridé, les observations de la SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, avocat de M. X..., de la SCP Gatineau, avocat de la société Puma, les conclusions de M. Kessous, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ; Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. X... a été engagé le 3 octobre 1983 par la société Puma, ayant pour objet la manutention et le stockage de matériel industriel, en qualité d'électromécanicien itinérant ; qu'à son contrat de travail a été insérée une clause de non-concurrence aux termes de laquelle il s'interdisait, pendant une durée de un an, à dater de son départ de l'entreprise, de travailler dans toute entreprise susceptible de concurrencer son employeur, étant précisé qu'en cas de violation de cet engagement, il serait tenu de verser une indemnité au moins égale à la rémunération perçue au cours de sa dernière année de collaboration avec la société, et ce sous peine d'astreinte ; que le salarié a quitté l'entreprise le 28 février 1991, après avoir démissionné ; qu'en faisant valoir qu'il avait aussitôt été embauché dans une entreprise concurrente, la société Puma a engagé une action prud'homale en paiement de l'indemnité et de l'astreinte prévues au contrat ; Sur le premier moyen du pourvoi principal du salarié : Attendu que le salarié fait grief à l'arrêt de l'avoir condamné au paiement d'une indemnité de non-concurrence en considérant comme valable la clause insérée au contrat alors, d'une part, qu'une clause de non-concurrence n'est licite qu'à la condition d'être indispensable à la protection des intérêts légitimes de l'entreprise au regard de la nature des fonctions du salarié ; qu'en se bornant à constater par un motif inopérant que M. X... avait acquis un savoir-faire auprès de son employeur qui avait intérêt à ne pas en abandonner immédiatement le bénéfice à d'éventuels concurrents, sans rechercher, comme l'y invitaient les conclusions du salarié, si la société Puma n'était pas à l'abri de tout risque concurrentiel spécifique, dès lors qu'exerçant des fonctions de maintenance en qualité d'électromécanicien, l'intéressé n'avait la possibilité ni de constituer ou de capter une clientèle, ni de divulguer des secrets d'entreprise, de sorte que la clause de non-concurrence n'était pas indispensable à la défense des intérêts légitimes de la société Puma, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du Code civil ; qu'en ne répondant pas aux conclusions du salarié qui soutenait que la clause de non-concurrence n'avait pour objet de protéger ni une clientèle ni des secrets d'entreprise dès lors que l'intéressé, qui était électromécanicien itinérant et ne percevait aucun intéressement, n'exerçait aucune fonction commerciale, de sorte qu'il n'avait aucune possibilité de constituer ou de capter une clientèle, ni de divulguer des secrets d'entreprise, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; alors, d'autre part, qu'une clause de non-concurrence n'est licite qu'à la condition que le salarié conserve la possibilité d'exercer des activités correspondant à sa formation et à son expérience professionnelle ; qu'après avoir relevé que M. X... avait acquis un savoir-faire sur le plan technique à la société Puma, la cour d'appel, qui n'a pas recherché, comme l'y invitaient les conclusions d'appel du salarié, si celui-ci n'avait pas ainsi une spécialité que la clause litigieuse l'empêchait de continuer d'exercer de manière licite, a de nouveau privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du Code civil ; Mais attendu d'abord que la cour d'appel, répondant aux conclusions alléguées, a énoncé que le domaine d'activité de la société Puma était spécialisé et que le salarié y avait acquis, après quatorze ans d'activité professionnelle, un savoir-faire spécifique qu'elle entendait protéger ; qu'elle a ainsi caractérisé l'intérêt légitime que présentait pour l'employeur l'application de la clause de non-concurrence ; Attendu ensuite que la cour d'appel a constaté qu'en raison de la qualification d'électromécanicien du salarié comme de son niveau de compétence et de responsabilités, la clause de non-concurrence ne lui interdisait pas de trouver du travail en dehors du secteur particulier de la maintenance et de la manutention qui était celui de son employeur ; Que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ; Sur le second moyen du pourvoi principal du salarié : Attendu que le salarié reproche encore à la cour d'appel de l'avoir condamné au paiement d'une indemnité de non-concurrence alors, d'une part, que les juges ne peuvent méconnaître les termes du litige tels qu'ils résultent des conclusions des parties ; que dans ses conclusions d'appel, la société Puma avait rappelé qu'elle ne contestait pas que M. X... n'avait jamais eu de fonctions commerciales ; qu'en relevant que M. X... avait prospecté la clientèle pour le compte de la société Jungheinrich, ce dont il se déduisait de manière implicite mais nécessaire que le salarié avait eu une fonction commerciale, la cour d'appel a ainsi méconnu les termes du litige en violation de l'article 4 du nouveau Code de procédure civile ; alors, d'autre part, que les juges ne peuvent fonder leur décision sur un fait qui n'est pas dans le débat ; qu'en relevant l'existence d'une activité de prospection de la part de M. X..., alors que la société Puma n'avait pas contesté que le salarié n'avait pas d'activité commerciale, la cour d'appel, qui s'est fondée sur un fait qui n'était pas dans le débat, a violé l'article 7 du nouveau Code de procédure civile ; Mais attendu que, sans méconnaître les termes du litige, la cour d'appel a retenu que le salarié, en violation de la clause contractuelle, avait travaillé pour une société directement concurrente de son employeur ; Que le moyen n'est pas fondé ; Mais sur le moyen unique du pourvoi incident formé par l'employeur : Vu l'article 1134 du Code civil ; Attendu que pour débouter l'employeur de sa demande en paiement de l'astreinte dont était assortie l'obligation mise à la charge du salarié de verser une indemnité en cas de violation de la clause de non-concurrence, la cour d'appel a énoncé qu'à la date à laquelle le conseil de prud'hommes avait statué, le délai d'un an pendant lequel était applicable la clause de non-concurrence se trouvait expiré, de telle sorte que, l'infraction ayant cessé, il n'y avait plus lieu à astreinte ; Attendu cependant qu'aux termes du contrat de travail, l'indemnité due par le salarié en cas de non-respect de son engagement devait être acquise huit jours après mise en demeure, restée sans effet, d'avoir à cesser l'infraction, et ce, "sous astreinte journalière fixée à la moitié de la rémunération journalière brute de M. X..." ; que la cour d'appel ayant constaté que le salarié, mis en demeure de cesser son activité le 13 mai 1991, avait persisté à travailler pour le compte d'une entreprise concurrente jusqu'au 28 février 1992, date d'expiration du délai d'un an, il en résultait que les conditions d'application de la disposition précitée, qui s'analysait en une clause pénale, étaient réunies, le juge n'ayant dès lors que le pouvoir de limiter le montant de l'ensemble des peines stipulées ; Qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé le texte susvisé ; PAR CES MOTIFS : CASSE ET ANNULE, mais seulement en sa disposition déboutant l'employeur de sa demande en paiement d'astreinte, l'arrêt rendu le 2 juin 1993, entre les parties, par la cour d'appel de Dijon ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Lyon ; Condamne M. X..., envers la société Puma, aux dépens et aux frais d'exécution du présent arrêt ; Ordonne qu'à la diligence de M. le procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit sur les registres de la cour d'appel de Dijon, en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ; Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre sociale, et prononcé par M. le président en son audience publique du quatorze février mil neuf cent quatre-vingt-quinze. |