Votre entreprise se développe et vous avez de plus en plus de difficultés à veiller personnellement à la bonne marche de vos services et au respect de la réglementation applicable à votre activité. Il vous faut déléguer une partie de vos prérogatives à un salarié plus à même de connaître et d'appliquer les obligations qui doivent être respectées est une mesure de gestion saine lorsqu'une entreprise se développe.
Par cette délégation de pouvoirs, vous allez également vous protéger, car le salarié qui va exercer une partie de vos pouvoirs va devenir, sous certaines conditions, responsable pénalement des actions qu'il va mettre en oeuvre.
Pour que la délégation de pouvoirs soit valable, vous devrez respecter des conditions strictes précisées au fil des années par les tribunaux.
Comment devez-vous procéder ? Qui désigner ? Y a-t-il des domaines réservés à l'employeur ?
La bonne méthode
Etape
1 -
Identifier les domaines ouverts à la délégation de pouvoirs
Santé et sécurité
La délégation de pouvoirs est le plus souvent utilisée en matière de santé et de sécurité où la réglementation est complexe et peut, en cas d'inobservation, entraîner des accidents et engager la responsabilité pénale de l'employeur.
Dans ce domaine, l'employeur commet une faute s'il ne la prévoit pas dès lors qu'il ne peut plus assurer lui-même l'application de la réglementation, du fait notamment de la taille de son entreprise.
Gestion du personnel
La délégation de pouvoirs est utilisée fréquemment en matière de gestion du personnel, informatique, comptabilité, transports, environnement et, d'une manière générale, dans tous les domaines où la responsabilité pénale du chef d'entreprise peut être engagée.
Concernant la gestion du personnel, elle peut être prévue pour assurer le respect de la législation en matière de durée du travail, d'embauches, de procédures de licenciement, d'organisation des élections professionnelles, etc.
Il convient de porter une attention particulière sur l'identification des domaines délégués. Ainsi, par exemple, le licenciement par un directeur auquel une délégation de pouvoirs a été consentie par le président est sans cause réelle et sérieuse, si la délégation mentionnait exclusivement la possibilité de recruter et de signer les contrats de travail.
Relation avec les instances représentatives du personnel
La présidence du CSE peut faire l'objet d'une délégation de pouvoirs. Dans ce cas, vous devez être particulièrement vigilant, car vous ne pouvez pas désigner un représentant qui ne ferait qu'enregistrer les questions des représentants du personnel et vous les transmettre (voir également la rubrique « Le rôle des RP »).
En effet, cette manière de procéder porte atteinte au bon fonctionnement des institutions représentatives du personnel et constitue un délit d'entrave.
De fait, la délégation peut concerner tous les secteurs de votre entreprise, à condition toutefois qu'elle ait une taille ou une complexité d'organisation significative.
Il n'existe aucun seuil minimal (en effectif, chiffre d'affaires, masse salariale, etc.) à partir duquel vous pouvez mettre valablement en place une délégation.
Il n'y a pas de règles préétablies en la matière et les juges sont souverains dans leur appréciation.
Ils examinent la validité de la délégation au cas par cas et retiendront comme principaux critères :
- la nature de votre activité ;
- la complexité de votre organisation ;
- l'existence d'un ou plusieurs établissements ou chantiers et leur éloignement ;
- le nombre de salariés ;
- votre masse salariale.
Convention collective "Hôtels, cafés, restaurants"(n° de brochure 3292)Pas de dispositions particulières
Etape
2 -
S'assurer que le salarié retenu peut être délégataire
Pour pouvoir recevoir une délégation de pouvoirs, le délégataire doit :
- être salarié de votre entreprise;
- être placé dans une situation de subordination à votre égard (le dirigeant d'un groupe ne peut déléguer à un autre dirigeant de société que s'il a un pouvoir hiérarchique sur ce dernier).
Vous devez ensuite vérifier si son contrat de travail prévoit la possibilité d'une délégation. Si tel n'est pas le cas, vous devrez convenir avec lui la possibilité d'y ajouter un avenant.
Vous pouvez déléguer à tous les niveaux de votre hiérarchie sous les conditions cumulatives suivantes :
- le délégataire doit avoir les compétences nécessaires ;
- il doit avoir une autorité suffisante ;
- il doit avoir les moyens pour mener à bien sa mission.
Convention collective "Hôtels, cafés, restaurants"(n° de brochure 3292)Pas de dispositions particulières
Il faut déterminer les personnes qui, en pratique, dans les domaines concernés, donnent des instructions aux collaborateurs, contrôlent l'application des consignes, ont le pouvoir d'infliger des sanctions disciplinaires et rendent compte au chef d'entreprise de la bonne application des règles en la matière.
Ainsi, en santé sécurité, le collaborateur le plus à même de recevoir une délégation sera le cadre ou l'agent de maîtrise ayant la responsabilité directe de l'unité de production concernée, à savoir le chef d'atelier ou de chantier.
Dès lors que le titulaire de la délégation dispose des moyens nécessaires, il pourra être sanctionné s'il ne prend aucune mesure pour prévenir un accident. De plus, vous ne devez pas vous substituer à lui et agir à sa place. Sinon, la délégation ne sera pas valable et vous resterez pénalement responsable.
Attention
L'obligation de sécurité du salarié est appréciée en fonction de sa formation, de ses possibilités, de son niveau d'attributions et de responsabilité : il n'est pas opportun de multiplier le nombre de délégations envers des salariés ayant de faibles classifications ou responsabilités. Cela ne vous dédouanera pas en cas d'accident.
Etape
3 -
Rédiger une clause de délégation de pouvoirs
La délégation de pouvoirs doit être certaine. Elle doit résulter d'éléments clairs et précis et le délégataire doit apparaître clairement comme tel dans l'entreprise.
La délégation peut être orale, et même implicite. Cependant, pour des raisons évidentes de preuve, il est fortement conseillé qu'elle soit écrite (acte exprès de délégation de pouvoirs, lettre de mission, avenant au contrat de travail) et signée du salarié, non pas avec la mention « bon pour accord », son accord n'étant pas nécessaire, mais simplement « reçu, le... ».
Elle doit être limitée dans son étendue (secteur d'activité, mission déterminée, service) et ne pas provoquer un abandon complet des responsabilités du dirigeant.
Elle doit avoir une durée suffisante. Les juges ne fixent pas de durée minimale, mais l'exercice des fonctions du délégataire doit être suffisamment stable pour que les manquements lui soient imputables.
Elle doit être antérieure aux éventuels manquements commis.
Le délégataire doit avoir accepté implicitement ou explicitement la délégation. En tout état de cause, il ne doit pas l'avoir formellement refusée.
Convention collective "Hôtels, cafés, restaurants"(n° de brochure 3292)Pas de dispositions particulières
Etape
4 -
Connaître les effets de la délégation de pouvoirs et ses limites
En tant que chef d'entreprise, vous êtes personnellement responsable des infractions commises par vos salariés ou par vous-même.
Transfert de votre responsabilité pénale en tant que personne physique
La délégation de pouvoirs vous permet, en cas d'infraction, d'écarter votre responsabilité pénale, qui est alors transférée à votre délégataire. Le délégataire devient responsable pénalement du respect des prescriptions dans le ou les domaines délégués.
Toutefois, ce principe n'est pas absolu, il comporte des limites.
Ainsi, lorsque vous prenez une décision nécessitant la consultation préalable du CSE, vous devez vous assurer que votre délégataire a bien rempli sa mission de consultation dans les domaines prévus par le Code du travail. À défaut, vous serez conjointement responsable de délit d'entrave.
Votre responsabilité pénale peut être engagée :
- si vous n'intervenez pas pour mettre fin aux agissements de votre délégataire alors que vous étiez informé que ce dernier allait commettre une infraction ;
- si vous avez commis une négligence ou une imprudence ayant permis la réalisation de l'infraction notamment par une mauvaise organisation de l'entreprise ;
Notez-leLe fait de ne pas mettre fin à une délégation confiée à un délégataire notoirement incompétent constitue une négligence engageant la responsabilité pénale du chef d'entreprise.
- si vous avez participé de près ou de loin à l'infraction.
Pour que la délégation de pouvoirs joue son rôle exonératoire, aucune faute personnelle ne doit pouvoir vous être reprochée.
Attention
Pendant la durée de la délégation, vous devez veiller à ce que le délégataire continue de réunir toutes les conditions requises. Le délégataire est pénalement responsable des infractions commises en son absence. Il en est ainsi, notamment, pendant son congé annuel, s'il n'a pas pris avant son départ les mesures nécessaires pour que soit assuré le respect des règles relevant de ses attributions. Si aucune faute personnelle ne peut être imputée au délégataire, sa responsabilité sera exclue.
Maintien de votre responsabilité civile
Votre responsabilité civile peut toujours être engagée en raison des actes commis par un de vos salariés.
En effet, selon le Code civil, vous répondez des faits commis par vos salariés dans l'exercice de leurs fonctions, peu importe le fait que, par le jeu d'une délégation de pouvoirs, le salarié soit pénalement responsable.
L'action en responsabilité civile est ouverte à toute victime pour assurer la réparation d'un préjudice qu'elle a subi.